Autoroutes à flux libre : quand les bistrots remplacent (mal) la barrière de péage

Déjà opérant en Normandie, le péage à flux libre est aussi déployé dans l’Allier. Le système est sans doute un bienfait pour les habitués disposant d’un badge de télépéage. Mais pour les autres moins connectés, s’acquitter de son dû peut devenir une vraie galère. Comme en témoigne ici Michel, sympathisant de la LDC, qui nous raconte son épopée avec humour… et agacement.

Les barrières de péages ont d’autres travers que celui de faire les poches aux automobilistes. Elles contribuent aussi à densifier la circulation, à créer des ralentissements et à générer des émissions polluantes, les usagers réaccélérant franco une fois le forfait acquitté. Ce sont ces raisons… et quelques autres (liées peut-être à la promesse d’économies substantielles ?) qui expliquent la création par certaines sociétés concessionnaires d’autoroutes du péage à flux libre : plus la moindre barrière désormais et un simple message à la place, pour les non-détenteurs de badge de télépéage : « Vous avez 72 heures pour payer ». Oui, mais comment ?

Jour 1, samedi

Roulant depuis plusieurs heures sur l’autoroute depuis la région parisienne vers le sud, j’ai dépassé Moulins et je file en direction de Clermont-Ferrand. C’est alors que sous mes yeux, défile une succession d’indications, alors que je maintiens mes 130 km/h : apparemment, je roule sur un tronçon« péage à flux libre », une première pour moi. Sur les panneaux, des noms de sociétés qui me sont inconnues me sautent au visage, puis cette indication sur les 72 heures pour payer avant de relever d’une procédure d’infraction. Détail important pour la suite,trois minutes après avoir passé les indications et le péage virtuel, j’ai déjà oublié le nom des sociétés mentionnées sur les panneaux, car je n’en connaissais aucune. J’aurais dû les noter en conduisant, bien sûr…

Jour 2, dimanche

Déjà sur la route du retour par l’A71, je repense au péage de la veille,réalisant que je viens de « dépenser » 24 heures sur les 72 imparties sans avoir entamé la moindre démarche pour payer. Je verrai cela avec mon ordinateur à la maison, dès demain matin.

Jour 3, lundi

Ce coup-ci, il faut s’y mettre. Après réflexion, je me souviens que sur mon tronçon de « flux libre », c’était la société Nirio qui était présentée comme celle auprès de laquelle il fallait d’acquitter le péage. Je me rends donc sur le site internet de cette filiale… de la Française des jeux. Deux méthodes sont proposées pour honorer mon dû : télécharger l’application sur mon smartphone ou bien « rendez-vous directement dans plus de 5 000 points de paiement Française des jeux agréés Nirio ». Comme je n’aime pas beaucoup télécharger des applications à tour de bras et que je vis en ville, j’opte pour la deuxième option. Direction le tabac au coin de ma rue, qui arbore comme les autres un panneau « FDJ ». Le patron n’a jamais entendu parler de Nirio et m’envoie balader. Je repars sans m’agacer outre mesure : je n’avais évidemment pas pris le temps de lire les indications de Nirio jusqu’au bout. Tous les cafés qui vendent des jeux de hasard n’offrent pas forcément ce service ! J’en sélectionne donc un dans la fameuse liste des 5 000, situé un peu plus loin de chez moi. Cette fois, la patronne connait Nirio : « Mettez votre portable là-d’ssous », me dit-elle en déclenchant un spectre numérique. Je lui explique vouloir payer mon péage sur la simple foi de mon immatriculation, comme proposé par Nirio : « Chez les autres c’est peut-être possible mais pas chez moi », m’évince-t-elle. De retour à mon domicile et toujours bredouille, j’envoie un mail à Nirio demandant des explications. J’irai demain dans un troisième café. La tournée des bars, ça suffit pour aujourd’hui !

Jour 4, mardi

On ne peut pas dire que ça m’arrange, mais je suis bien obligé de dégager au moins une heure de ma journée pour m’occuper de mon paiement. L’horloge tourne, il ne faudrait pas dépasser les 72 heures qui me sont généreusement accordées pour régler ma note. Je sens l’agacement monter en moi, je suis même à deux doigts de culpabiliser d’avoir pris la route au pied levé le week-end dernier sans me soucier de rien : un comble !

Troisième expédition dans un nouveau bar. Le patron est charmant. Comme aux autres, je demande à régler mon péage sur la foi de mon immatriculation : « Ça ne marche pas et ça n’a jamais marché »,m’informe-t-il, mais,sympa, il essaie tout de même. La machine de Nirio refuse l’opération : « ça ne fonctionne qu’avec l’application pour les smartphones. Ils veulent récupérer vos données, que croyez-vous ? », me lance le bistrotier, un brin goguenard… La moutarde commence sérieusement à me monter au nez. Je pourrais bien sûr télécharger l’application et m’acquitter de mon péage en deux minutes. Toutefois, je pense aussi à ma mère, qui a bientôt 80 ans, conduit toujours, mais ne sait pas se servir d’un téléphone portable : et si cela lui arrivait à elle, comment ferait-elle pour payer ? Vit-on dans une société où le smartphone est obligatoire ? C’est scandaleux et je décide de m’en ouvrir à un numéro de téléphone que je trouve sur le site Internet de Nirio. Une opératrice m’indique d’emblée qu’elle n’est pas là pour m’aider : « Je viens en assistance aux cafetiers » m’explique-t-elle, feignant de découvrir qu’il n’y pas moyen de payer le péage avec sa seule immatriculation. Néanmoins, elle comprend mon courroux et, apprenant que je circulais à hauteur de Clermont-Ferrand, elle m’indique une solution toute simple : régler ma note sur le site internet d’Aliae, la société concessionnaire de l’autoroute en question (en l’occurrence, l’A79, à laquelle nous avons déjà consacré un article). Encore fallait-il le savoir. Trois minutes plus tard et en entrant simplement ma plaque minéralogique sur le site, mon péage est enfin payé. Il y en avait pour 1 euro... Tout ça pour ça !

Épilogue

Quelques jours après la conclusion de cette aventure, alors que Nirio n’a toujours pas répondu à mon mail, je me demande toujours pourquoi nous, les usagers sans badge, ne recevons pas directement un avis de paiement de la part les sociétés concessionnaires après avoir emprunté leurs autoroutes. Ce qui me rassure, c’est que je ne suis pas le seul à m’interroger : le sénateur de l’Aisne Pierre-Jean Verzelen a posé une question écrite au Gouvernement sur ce même sujet le 22 mai dernier : « Cette évolution (ndlr, le passage au flux libre) peut vite se transformer en piège pour les automobilistes non avertis. L'État ayant concédé les autoroutes à des entreprises privées afin d'en assurer leur bonne gestion et entretien, [le sénateur] souhaite connaître la position du Gouvernement sur l'éventualité d'envoyer une facture à l'automobiliste afin que celui-ci soit informé et qu'il puisse payer dans un délai supérieur à 72 heures. » À ce jour, silence radio du gouvernement.