« La Sécurité routière ne choisit pas les bons combats, elle choisit les plus faciles »

Jean, 60 ans, habite à Villed’Avray, commune boisée d’un peu plus de 11 000 habitants, située dans les Hauts-de-Seine, à l’ouest de Paris. Rendez-vous est pris dans un café du centre-ville où ce sympathisant de la Ligue de Défense des Conducteurs a ses habitudes. Une fois son double espresso servi, Jean, l’un des premiers à répondre aux sollicitations de notre association, se livre sur son usage de la voiture, son rapport à l’automobile en général et offre un point de vue pragmatique sur la situation des conducteurs dans la France de 2021. Cet ancien ingénieur dans l’automobile, qui a quitté le groupe PSA Peugeot-Citroën (devenu Stellantis) en janvier 2021, pour se reconvertir dans la confection de gâteaux, est un interlocuteur éclairé, toujours dans la modération. Pour lui, pas question de se passer de sa voiture, une Citroën C4 Space Tourer de 2016 achetée d’occasion, dont il se sert tous les jours, que ce soit pour se rendre au travail, aller faire du sport ou s’occuper des courses. Il faut dire que Ville-d’Avray est mal desservie par les transports en commun : « La gare la plus proche n’est même pas sur la commune », nous explique-t-il. Alors quand il se rend à Paris le soir, pour un diner entre amis, Jean, qui parcourt plus de 20 000 kilomètres par an en voiture, n’envisage pas de prendre les transports collectifs. Pour lui, après une bonne soirée, rentrer à 23 heures en bus, en métro ou en train, « ça gâche tout ». Peu importe que les conditions de circulation dans la capitale soient devenues invivables, il n’envisage tout simplement pas de devoir rentrer chez lui en transports en commun lorsqu’il se fait tard. Résultat, « moi qui aimais aller régulièrement au cinéma sur les Champs-Elysées, je ne m’y rends pratiquement plus jamais », regrette-t-il.

Ce soixantenaire d’apparence sage se déclare d’ailleurs prêt à désobéir à des injonctions qui lui semblent manquer de sens. Fin connaisseur du sujet des Zones à Faibles Émissions (ZFE), il s’agace contre le vaste périmètre dont la Métropole du Grand Paris (comprenant 79 communes situées à l’intérieur du périmètre de l’autoroute A86) interdit peu à peu l’accès à de plus en plus de véhicules jugés les plus polluants, selon un calendrier particulièrement accéléré. Bien sûr, Ville-d’Avray en fait partie… « On n’y tolérera plus ma Citroën, qui roule au gazole, à partir de 2024, commente pourtant sereinement notre sympathisant. Mais je passerai outre cette interdiction, au nom de la « désobéissance civique ». Car à mes yeux, Anne Hidalgo confisque Paris pour l’usage exclusif des Parisiens » ! Pour ce père de deux enfants de 25 et 23 ans, cette transition, certes nécessaire, va beaucoup trop vite et entraine une « perte de liberté individuelle ». Il s’insurge : « Je ne comprends pas comment la voiture peut subir à ce point le feu des critiques des médias et des politiques. Selon moi, on assiste à une infantilisation globale du citoyen, à qui on demande de regarder The Voice, de consommer McDonald’s, de se faire livrer par Amazon, et de ne surtout pas penser. »

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C’est ce même sentiment qui l’habite quand nous évoquons les baisses de limite de vitesse généralisées, auxquelles il a du mal à trouver une justification. Pour lui, la mesure du 80 km/h, contre laquelle la Ligue de Défense des Conducteurs n’a cessé de monter au créneau depuis 2018 (ce qui l’a d’ailleurs incité à se rapprocher de notre association), est « une ineptie » à laquelle il était, et est toujours, très fortement opposé : « J’estime que rien ne prouve que ce soit une vraie amélioration pour la sécurité », explique Jean, dont l’expertise sur le sujet n’est pas à démontrer, lui dont la carrière dans l’ingénierie automobile se compte en décennies. Difficile de lui donner tort lorsque l’on sait que dans près d’un département sur deux, la mortalité routière reste identique ou s’est aggravée après l’instauration du 80 km/h.

Les radars automatiques aussi suscitent toujours, près de vingt ans après leur mise en place, une forte animosité de la part de Jean : « Je suis d’accord pour dire qu’ils ont participé à faire comprendre aux gens qu’il n’était pas possible de faire n’importe quoi sur la route, concède-t-il, mais ils ne sont plus aussi bénéfiques que par le passé. Ils se sont plutôt transformés en radars-tirelire, sans faire baisser davantage la mortalité routière, si vous voulez mon avis ». Un point de vue d’ailleurs partagé par la Cour des comptes dans un rapport publié en juillet 2021, dont vous retrouverez les détails dans la Proposition n°2 de la Ligue de Défense des Conducteurs (voir p. 53), qui constitue la dernière partie de ce présent recueil. Cela n’empêche pas notre sympathisant de considérer que « les gens n’ont pas à dépasser les vitesses ». En revanche, Jean trouve insupportable et infantilisant l’enchainement des panneaux de limitations qui vous font passer de 90 à 80 km/h, puis à 70 km/h, pour revenir à nouveau à 90 km/h. « C’est une pratique propre à piéger les automobilistes. Facile à mesurer et donc à sanctionner, sachant que notre vitesse est contrôlée un nombre incalculable de fois, ce qui est loin d’être le cas pour le taux d’alcoolémie ou la positivité aux stupéfiants, constate-t-il. Par exemple, à titre personnel, je n’ai fait face à l’éthylotest que deux fois dans ma vie, et encore il y a plus de vingt ans. Pour moi, la Sécurité routière ne choisit pas les bons combats, elle choisit les plus faciles ». Au point d’en oublier complètement certains, plus compliqués « à traiter », comme le respect des distances de sécurité ou la lutte contre les dépassements dangereux ? « L’automobiliste a l’impression qu’aujourd’hui, la seule règle qui vaille, c’est de ne pas rouler trop vite, se désole Jean. Le reste n’apparaît pas comme dangereux, puisque ce n’est pas réprimé. » À quelques semaines de l’élection présidentielle de 2022, nous avons voulu savoir si Jean prêterait attention à la politique voiture de ces derniers : « Je ne vais pas élire un candidat sur ce qu’il pense de la voiture, car il y a bien d’autres enjeux, mais je reste cependant attentif, nous a-t-il répondu. Car ce qui est sûr, c’est que si j’en entends un capable de dire n’importe quoi sur ce sujet-là, je vais me méfier de lui. »