Le 80 km/h, fiasco de l’année pour le gouvernement

Quel incroyable bourbier que cette mesure du 80 km/h. Après avoir été l’une des étincelles qui ont mis le feu au mouvement des Gilets jaunes en 2018, deux ans plus tard elle morcelle la France, avec une trentaine de départements qui ont repassé des dizaines de milliers de kilomètres de routes à 90 km/h, la limitation de vitesse initiale. Autopsie d’une décision parisienne qui, sous couvert de sécurité routière, a jeté la suspicion sur les véritables objectifs de gouvernement et engendré colère et incompréhension chez les conducteurs.

 

Alors que cet été, notre équipe compilait toutes les opérations liées au 80 km/h menées par la Ligue de Défense des Conducteurs, entre le 1er juillet 2018 et le 30 juin 2020 (deux ans de pseudo-expérimentation qui devaient servir au gouvernement à entériner l’abandon du 90), nous avons pu mesurer concrètement la grogne - ceci est un euphémisme - que cette décision unilatérale avait créée. Au total, notre association a reçu 2,8 millions de signatures de pétitions, 281 000 avis de protestation adressés au Premier ministre, 360 000 lettres "NON au 80" au Président de la République…

Butés, Edouard Philippe et Christophe Castaner, alors respectivement Premier ministre et ministre de l’Intérieur, se sont arcboutés sur leur malencontreuse initiative. Quitte à publier, au terme de ces deux années (moins quatre mois de crise sanitaire), un « bilan » totalement biaisé de la mesure, supposée avoir permis de sauver 349 vies et ce, sans la moindre démonstration probante. Souvenez-vous : ce rapport de 122 pages, que nous avions soigneusement épluché, se basait sur le réseau routier hors autoroutes et agglomérations, englobant donc toutes sortes de limitations de vitesse (70, 80, 90, 110…). Les routes à 80 km/h n’ont pas été isolées pour établir des statistiques ! Pire, les autres causes potentielles d’accident étaient exclues. Seul le facteur « vitesse » était retenu… Alcool, stupéfiants, dégradation des routes, conditions météorologiques, distances de sécurité, fatigue, téléphone au volant ? Inconnus au bataillon de l’accidentologie du 80 km/h.

La résistance au 80 s’organise

Alors que l’autosatisfaction hypocrite règne en haut lieu, la loi, elle, s’assouplit. Depuis décembre 2019, les présidents de département sont autorisés à revenir à 90 km/h, à condition de respecter diverses étapes, notamment la consultation du Comité départemental de sécurité routière. Si le sujet n’était pas aussi grave, la situation s’avérerait cocasse, révélatrice des paradoxes générés par les circonvolutions de l’administration française : ce que tricote la main de l’exécutif est détricoté par la main du législatif… Mais au fond, ce revirement que tente de minimiser le gouvernement, à coups de recommandations ultra dissuasives et de consignes d’intransigeance aux préfets, démontre l’ineptie du 80 km/h. Cette mesure inefficace, adoptée car désespérément « politiquement correcte », est donc aujourd’hui remise en cause sur le terrain, par des élus locaux plus que dubitatifs, pour qui les résultats ne sont – évidemment – pas au rendez-vous. À fin décembre 2020, plus de 31 500 kilomètres sont ainsi repassés à 90 km/h, comme autant de pieds-de-nez à des représentants de l’État déconnectés, oublieux que la France s’étend au-delà du périphérique parisien.

Pourtant, en chœur, la plupart des médias avaient repris ce bilan en trompe-l’œil des « 349 vies sauvées », dont tout observateur extérieur, novice en matière de sécurité routière, ne pouvait en effet que se réjouir. Ces résultats tout cuits, qui se sont imposés comme la vérité absolue, sont ainsi systématiquement remis en avant dès qu’un département décide de repasser tout ou partie de son réseau à 90 km/h. Une association soi-disant mobilisée « contre la violence routière » (mais qui pourrait être « pour », en fait ?), jusqu’au-boutiste, a même décidé d’attaquer en justice ceux qui prennent cette décision. Votre vaste mobilisation, à la fois campagne de soutien et d’incitation à l’intention des présidents de département, actuellement initiée par la Ligue de Défense des Conducteurs (près de 40 000 messages envoyés), ramène à la réalité : bien sûr qu’il est possible de revenir à 90 km/h et ça n’a rien à voir avec les statistiques de sécurité routière. Ainsi que le rappelle Claude Riboulet, président de l’Allier, dans la passionnante interview qu’il a accordée à notre association en septembre dernier, dans le cadre du retour de tout son réseau départemental à 90 km/h,  "Oui, nous avons relevé la vitesse. Mais nous vous rappelons aussi que le Code de la route stipule d'adapter sa vitesse aux conditions de circulation. Que 90 n'est pas la vitesse obligatoire, mais la vitesse plafond". La décision de l’élu local s’est bien sûr accompagnée d’une étude de terrain, de mesures d’ajustement de la limitation de vitesse aux endroits potentiellement dangereux et d’initiatives en matière de prévention routière. Bref, un modèle de prise en compte de tous les aspects de la sécurité routière, où la répression n’apparaît pas comme la réponse à tout.

Le 80 km/h, c’est la double peine

N'oublions pas en effet le côté « double peine » de cette réduction de la vitesse autorisée. Depuis l’avènement du 80, les radars s’en donnent à cœur joie et flashent à tout-va. À mesure que les voitures radars privatisées se répartissent dans tout le pays, les PV vont pleuvoir comme jamais et continuer à remplir les caisses de l’État. Déjà, notre association croule sous les témoignages de conducteurs révoltés : « Dans certains départements, il n'y a aucune possibilité de savoir si la limite est à 80 ou 90 km/h car il n'y a aucun panneau qui l'indique, à part les panneaux 30, 50 et 70, rien ! » Ou encore : « Un vrai bazar, entre les radars de toutes sortes, les voitures banalisées et les limitations souvent inconnues, bien malin qui ne se fera pas prendre… »

Tout n’est pas perdu. Alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre le club des résistants, les départements font renaître l’espoir. De son côté, la Ligue de Défense des Conducteurs continue à soutenir qu’un retour homogène à 90 km/h sur tout le réseau concerné, en France, serait la décision la plus logique à prendre. La plus en phase avec la réalité de terrain. Le gouvernement préfère garder ses œillères ? Alors comptons sur les départements pour continuer à morceler eux-mêmes le territoire du 80 km/h. Plus ils seront nombreux à abandonner cette limitation de vitesse, dont le soi-disant objectif de renforcement de la sécurité routière cache plutôt une volonté de flicage renforcé et de recettes supplémentaires, plus les « pro-90 », dont nous sommes évidemment, seront entendus. L’année 2021 promet d’être riche en rebondissements en la matière.