3 questions à Philippe Lacroix, auteur de "Rouler bien : pour une meilleure sécurité routière"

Dans son livre "Rouler bien : pour une meilleure sécurité routière", Philippe Lacroix a analysé des décennies de statistiques d'accidentologie, de progrès technologiques des véhicules, de campagnes de sécurité routière... Dans cette interview exclusive à la Ligue de Défense des Conducteurs, il s'élève contre la politique du tout-répressif qui s'est imposée au fil des ans, chiffres à l'appui.

-Philippe Lacroix, vous êtes l'auteur de "Rouler bien : pour une meilleure sécurité routière". Qu'entendez-vous par "meilleure sécurité routière" ?

D’une part, les statistiques annuelles, qui avaient affiché une baisse du nombre de victimes de la route presque tous les ans de 1973 à 2013 (nombre de morts annuel divisé par 5, distances parcourues par la route multipliées par 12), sont reparties à la hausse depuis 2014. 2019 est la quatrième année de hausse du nombre de morts en six ans, et les baisses enregistrées en 2017 et 2018 sont faibles, contrairement à ce que le discours officiel a cherché à faire croire. Alors que l’objectif fixé par le gouvernement consistait à faire régresser le nombre de morts annuel de 3 300 en 2013 à 2 000 en 2020, nous sommes toujours au-dessus de 3 200 à fin 2019. La politique en vigueur est en échec depuis sept ans.

D’autre part, la politique de sécurité routière devrait logiquement s’occuper des infrastructures, des véhicules et des conducteurs. Pour l’infrastructure, l’Etat a abandonné l’entretien du réseau routier depuis dix ans, en le déléguant aux collectivités, dont il réduit les budgets tous les ans. Pour les véhicules, depuis les ceintures, le taux d’alcool, les rehausseurs et les enfants à l’arrière, l’Etat n’est plus intervenu, mais les constructeurs savent bien faire progresser leurs modèles. Pour les conducteurs, l’Etat devrait s’occuper de formation et de prévention d’abord, de répression ensuite. Mais depuis la création des radars fixes en France en 2003, formation et prévention ont été abandonnées. Jusqu’au début des années 2010, avec un âge moyen des véhicules inférieur à 8 ans, leur renouvellement permettait à tous les conducteurs et passagers de bénéficier des progrès en sécurité apportés par le progrès technologique. Depuis dix ans, l’âge moyen du parc augmente, à cause de l’augmentation des taxes sur les véhicules et les carburants. Du coup, le progrès technologique ne suffit plus à masquer l’inefficacité de la politique en vigueur.

Enfin, la Délégation à la Sécurité Routière (DSR) et les services qui en dépendent ont pris l’habitude depuis 2012 de mentir aux Français, dans les statistiques d’abord, dans les analyses, les interviews et les campagnes d’information/propagande ensuite. Par exemple, sur les 80 km/h, comment peut-elle affirmer que cette mesure a sauvé 200 vies en 2019, alors que le nombre de morts sur le reste du réseau n’a pas augmenté, et que le nombre total de morts, lui, a augmenté ?

 

-Pourquoi vous êtes-vous investi dans cette mission de contre-information?

Je suis consultant en logistique, mon métier consiste à permettre à mes clients d’optimiser l’organisation et la performance de leurs flux de marchandises, qui passent essentiellement par la route. Par le passé, j’ai entre autres géré des flottes de voitures confiées à des commerciaux, et de poids lourds. Je suis passionné par l’automobile, motard, et pilote amateur sur circuit. En France, 85 % des déplacements de personnes et de marchandises sont toujours effectués par la route. Quand la décision d’abaisser la vitesse autorisée a été annoncée début 2018, j’étais convaincu qu’elle serait inefficace et contre-productive. J’ai alors décidé de traiter le sujet de la sécurité routière comme une de mes missions de conseil :

- recueil d’informations: les 65 bilans statistiques annuels disponibles, l’évolution de l’automobile depuis les années 1970, les campagnes d’information/propagande, les deux études utilisées par la DSR pour justifier les 80 km/h, etc ;

- analyse de l’ensemble ;

- élaboration de propositions d’améliorations ;

- le tout sans langue de bois.

Après un an de travail, j’ai publié mon livre, mais j’ai continué depuis à suivre le sujet.

 

-Selon vous, quelle action est à mener en priorité pour que le gouvernement entende –enfin – les arguments des défenseurs des conducteurs ?

Il faut arriver à faire prendre conscience au plus grand nombre possible de nos concitoyens que l’Etat fait fausse route :

- Non, traiter tous les conducteurs comme des enfants pour les rançonner et réduire leur liberté de déplacement (hors crise sanitaire) n’est ni efficace, ni digne de notre pays ;

- Non, la vitesse n’est pas la première cause d’accidents. Alcool, stupéfiants et médicaments causent plus de la moitié des accidents mortels tous les ans. Distraction et incompétence devant l’inattendu expliquent une bonne part du reste ;

- Non, les radars ne sauvent pas de vies ;

- Non, brimer les bons conducteurs n’améliore pas les mauvais conducteurs ;

- Non, la formation initiale validée par le permis de conduire ne suffit pas pour la vie ;

- Non, le risque zéro n’existe pas ;

- Oui, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont de bien meilleurs résultats avec une politique de sécurité routière beaucoup moins punitive que celle de la France.

A la sortie de mon livre, j’ai tenté l’approche directe sur les responsables politiques, y compris le premier d’entre eux. Ca ne fonctionne pas. Les vecteurs disponibles sont Internet et les réseaux sociaux, le Parlement, les médias, les livres, et bien sûr le bouche à oreille. La Ligue de Défense des Conducteurs est efficace sur Internet et a commencé une percée au Parlement, mon livre explique et démontre pas mal de choses, mais les Français lisent peu et les médias sont bridés.

Nous devons convaincre un nombre croissant de Français, journalistes compris, de relayer nos analyses, donc de contredire les mensonges de la DSR. Nous devons aussi leur faire comprendre que les associations autophobes ont depuis 40 ans une influence nuisible et incohérente avec leur faible crédibilité.

Et si nous vivons encore dans une démocratie, les élections doivent permettre d’élire des personnes déterminées à faire ce que nous attendons d’elles en matière de sécurité routière, ce que définit le dernier chapitre de mon livre. Une citation de Georges Pompidou s’impose: "Arrêtez d’emmerder les Français !"

 

Philippe Lacroix, Rouler bien : pour une meilleure sécurité routière, Ed. Librinova, 2019, 222 pages.

https://www.librinova.com/librairie/philippe-lacroix/rouler-bien

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