Une formation sur circuit après le permis de conduire ? La bonne idée pour réduire la mortalité routière

Depuis 2019, les conducteurs novices ont accès à une formation leur permettant de réduire leur période de permis probatoire. Une excellente idée sur le papier, mais qui aurait gagné à privilégier la pratique sur la théorie, regrette Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue de Défense des Conducteurs.

Note : cet article a été initialement publié le 11 février 2022 sur le site Capital.fr, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une tribune libre bimensuelle.

Parmi les victimes de la route, 21 % sont âgés de 18 à 24 ans. Or, cette tranche d’âge ne compte que pour 8,3 % de la population française… Jean-Pascal Assailly, psychologue et chercheur à l’Université Gustave Eiffel, s’est spécialisé dans l’étude du comportement des jeunes au volant et la surreprésentation de cette tranche d’âge dans la mortalité routière. Interrogé par le site safety-mobility-for-all.com, cet expert pointe entre autres “le décalage entre la situation de la formation initiale, les 20 heures passées à l’auto-école, et la situation accidentelle ; lors de la formation, le jeune apprend à conduire de jour, la semaine, dans les artères encombrées des agglomérations, il est sobre, il n’y a qu’une seule personne dans la voiture, l'enseignant, etc. Bref, situation d’apprentissage et situation de danger sont opposées point par point”.

C’est sur ce point que la Ligue de Défense des Conducteurs souhaiterait voir les pouvoirs publics se mobiliser, plutôt que développer un énième radar encore plus performant ou inventer une nouvelle taxe automobile. Une formation post-permis a bien été mise en place depuis la mi-2019, sur la base du volontariat (nous avons cherché à obtenir une idée du nombre de participants depuis sa création auprès de la Sécurité routière, nous attendons toujours la réponse). Mais ce premier pas est insuffisant.

D’abord parce que cette session de 7 heures, condensée en une journée, est uniquement dispensée dans une des 2.881 auto-écoles « labellisées » par l’État, soit seulement 23 % de ces établissements, ce qui complique d’emblée l’accès à la formation, par ailleurs facturée une centaine d’euros. Mais surtout, parce que malgré la taille de l’enjeu – elle garantit à tout frais détenteur du permis, obtenu depuis au moins 6 mois mais moins de 12 mois, de raccourcir sa période probatoire d’un an, passant de 3 ans à 2 ans (de 2 ans à 18 mois pour ceux qui ont bénéficié de la conduite accompagnée) –, elle reste malheureusement 100 % théorique.

En effet, elle consiste principalement à confronter sa propre expérience à celle des autres participants et à imaginer sa réaction dans le cadre d’une “situation complexe”. La cerise sur le gâteau, c’est que la dernière heure de la journée est consacrée à la promotion des modes de mobilité alternatifs… Ne cherchez pas le rapport avec l’acquisition de meilleurs réflexes au volant : il n’y en a pas.

Pour d’évidentes raisons de sécurité, on comprend bien que les moniteurs d’auto-école ne peuvent placer leurs élèves dans ces “situations complexes” pendant les heures de conduite, sur route ouverte. Mais cette formation post-permis non plus, puisqu’on la suit assis sur une chaise. C’est pourtant bel et bien dans une voiture que concrètement, on peut être amené à “taper dans les freins” ou éviter un obstacle qui surgit de nulle part. Cet apprentissage ne peut se faire que derrière un volant…

"Cet apprentissage ne peut se faire que derrière un volant"

Chez Beltoise Évolution, spécialiste de l’enseignement de la “bonne conduite” situé dans les Yvelines, on confirme : pour les formations post-permis, il faut compter 30 % de théorie… et 70 % de pratique, sur circuit. Selon cet expert du risque routier, cette large place laissée à l’expérimentation en situation permet d’améliorer “la sécurité au volant des conducteurs, en évitant autant que possible les situations dangereuses et leur conséquence potentielle : l’accident ; de réduire les coûts liés à la sinistralité routière”.

Pas question ici d’associer la notion de circuit à la vitesse. Il s’agit avant tout de circuler sur route fermée et sécurisée. Sur circuit, on peut apprendre à donner les bons coups de volant, pour éviter une portière qui s’ouvre subitement à votre hauteur, ou un chien qui traverse sans prévenir. Le seul risque, c’est de heurter le gros ballon ou le cône qui figurent ces obstacles inattendus. Sur circuit, on peut freiner brutalement, sans craindre de voir son véhicule embouti. Sur circuit, on peut apprendre à retrouver la bonne trajectoire, alors qu’on part en aquaplaning.

Certaines grandes entreprises ont déjà compris que former leurs “gros rouleurs” aux bonnes pratiques en matière de réactions d’urgence leur coûte moins cher que la réparation des véhicules ou, pire, l’hospitalisation de leurs salariés. Elles n’hésitent donc pas à investir dans un stage sur circuit (environ 400 euros pour une journée). Dommage, l’État ne fait pas le même calcul pour les jeunes conducteurs. Début 2021, Marie Gautier-Melleray, Déléguée interministérielle à la Sécurité routière, avec qui nous évoquions une journée de formation post-permis qui serait plus pratique que théorique, nous avait en effet répondu : “Ça va coûter trop cher”. Ah bon ? On trouve bien 192 millions d’euros chaque année pour acheter et entretenir les radars. Avec la même somme, divisée par les 663.000 jeunes de 18-24 ans qui obtiennent leur permis chaque année, on obtient déjà 300 euros… Restent 100 euros à trouver, sachant que c’est le prix de la formation post-permis existante.

"Ça va coûter trop cher. Ah bon ? On trouve bien 192 millions d’euros chaque année pour acheter et entretenir les radars"

Apprendre à anticiper les situations d’urgence et à mieux maîtriser son véhicule si on n’a pas pu les éviter, c’est œuvrer à la diminution du nombre d’accidents. Une démarche qui vaut à tous les moments d’une “carrière” de conducteur, mais acquérir ces réflexes le plus tôt possible derrière un volant, c’est réduire les risques à un âge où les dangers de la route ne sont souvent qu’une vague vue de l’esprit. S’y trouver confronté, tels qu’ils se présentent dans la vraie vie mais dans des conditions parfaitement sécurisées, permet d’en prendre conscience. Trouver un financement pour une formation post-permis plus pratique que théorique pour les jeunes devrait donc constituer une priorité pour l’État : décidément, la sécurité routière n’est pas qu’une affaire de PV pour excès de vitesse.