Mon référendum en faveur du 160 km/h sur autoroute

Citoyens-lecteurs, c’est à vous que je m’adresse aujourd’hui dans une chronique en forme de diatribe. Surtout ceux qui ont des crampes dans la cheville droite.

(Note aux lecteurs : cette chronique signée Jean-Philippe Thery, chroniqueur sur le site d'information autoactu.com, a déjà été publiée le 9 juillet 2020. La Ligue de Défense des Conducteurs a obtenu l'aimable autorisation de l'auteur et de l'éditeur pour sa reproduction). 

 

Dans les années 90, j’organisai des Clinic-Tests pour un grand constructeur. L’une de ces opérations, consistant à recueillir l’opinion de clients potentiels sur un modèle futur, m’emmena dans la banlieue de Francfort. Si je ne me souviens pas quel projet y fut testé, je me rappelle en revanche très bien des voitures que possédaient les associés propriétaires de l’Institut d’études que nous avions sélectionné pour mener à bien l’enquête en question.

Le premier venait de prendre livraison d’une magnifique Jaguar XJR à la robe turquoise métallisé, et à l’intérieur de couleur ivoire. Haut de gamme de la série X300 produite entre 1994 et 1997, celle-ci était propulsée par un 6 cylindres en ligne auquel était associé un compresseur mécanique Eaton, en charge de gaver les chambres de combustion jusqu’à obtention des 326 chevaux promis par la fiche technique.

En la découvrant, j’adressai à son propriétaire un "Das ist ein schones Auto" prouvant qu’à l’époque, Goethe, sa langue et moi étions alors copains. Mon compliment se heurta néanmoins à une réclamation de la plus haute importance, à propos d’un bruit aérodynamique se manifestant en haut de portière conducteur à partir de 220 km/h, et qui aillait nécessiter un indispensable passage chez le concessionnaire. "Englisches Autos" me dit-il d’un air résigné, avant d’ajouter "il faudra que vous la conduisiez demain".

Autant vous dire que le jour suivant, je trainais régulièrement mes mocassins sur le parking, dans l’espoir que la promesse fût tenue. Et elle le fut. A ma grande surprise, l’homme m’abandonna la clef sans manifester la moindre intention de m’accompagner, avant d’indiquer le tronçon d’autoroute dépourvu de limitation de vitesse le plus proche, accompagnant ses explications d’un geste évocateur laissant à entendre que j’y aurais toute liberté pour solliciter le champignon accélérogène à ma guise. En plus d’une confiance irraisonnée dans les aptitudes au volant d’un quasi-inconnu d’à peine 25 ans, ce type disposait probablement d’un contrat d’assurance en béton armé. D’ailleurs, il rigola franchement quand une heure plus tard en lui rendant son véhicule, je lui expliquai n’avoir entendu le fameux sifflement qu’à 240 km/h.

Plus tard, au cours d’une journée qui s’avérait décidément excellente, c’est dans le siège passager de la Porsche 964 de son associé que je me trouvais lorsque celui-ci quitta l’autoroute pour s’engager sur la bretelle d’accès d’une station-service. "Benzin ?" questionnai-je en tentant vainement d’apercevoir l’aiguille de la jauge à essence. La réponse fut celle que j’espérai : "Nein. Wollen sie fahren ?" ("Non. Voulez-vous conduire ?"). En raison du trafic, je ne dépassais pas les 190 km/h au volant de la belle Carrera 4 améthyste métal sellerie gris-mauve. Mais vous constaterez que je n’ai pas oublié ma première expérience en 911 pour si peu.

Je sais, je ne devrais pas écrire ce genre de truc. Même si je m’en tiendrai à l’évocation de "souvenirs allemands" véritablement survenus outre-Rhin, comme nous en avons convenu avec mon avocate, que j’ai pris le soin de contacter avant de rédiger cette chronique. Il ne serait par exemple pas raisonnable de mentionner le Tunnel de Fourvière abordé de nuit dans une auto dont le tachymètre taquinait un chiffre…masqué par la jante du volant.

Histoire de me protéger définitivement, je déconseille fortement la pratique de vitesses incompatibles avec les textes légaux, même si je ne me fais aucune illusion me concernant : il n’existe ni prescription, ni absolution géographique pour ceux qui ont inscrit la vitesse sur la liste des péchés capitaux, et donc je n’échapperai pas à la censure morale si ce texte venait à tomber en certaines mains. Comme celles par exemple d’un certain nombre des membres de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui ont inscrit sur la liste des 250 propositions publiées le 21 juin l’abaissement de la Vitesse Maximale Autorisée (VMA) sur autoroute de 130 km/h à 110 km/h.

Mais ceux-ci ne sont peut-être pas aussi nombreux que vous le croyez. La proposition qui a tant fait couler d’encre ces derniers jours au point d’en devenir la plus emblématique du catalogue est en effet l’une de celles qui a le moins recueilli de suffrages avec seulement 59,7% d’avis positifs, soit 83 personnes sur les 150 citoyens participants au comice. C’est néanmoins beaucoup plus que les 25% de répondants au sondage réalisé par Odoxa pour France-Info et le Figaro sur le sujet, et même que les 47% des sympathisants EELV qui s’y déclarent favorables au changement de panneau.

Quelque chose me dit qu’Emmanuel Macron n’a pas oublié de lire la revue de presse matinale avant d’annoncer aux 150 citoyens réunis dans les jardins verdoyants de l’Elysée que la proposition en question n’irait pas plus loin. Mais ceux qui ont poussé un soupir de soulagement en écoutant le chef de l’Etat le 29 juin auraient tort d’imaginer trouver en lui un farouche opposant à l’abaissement de la VMA autoroutière.

Le Président n’a en effet laissé aucun doute sur les raisons l’ayant poussé à ne pas la promouvoir, lorsqu’il a déclaré à son public d’un jour : "Je ne voudrais pas que vous connaissiez le même sort que moi, c’est-à-dire avoir des mois de travail qui s’abîment dans une polémique." En d’autres termes, celui-ci garde en tête le vent du boulet de la contestation à l’égard des 80 km/h sur le réseau secondaire. Et lorsqu’il ajoute qu’"il faut reporter le débat sur les 110 km/h", il indique on ne peut plus clairement qu’il se contente de repousser le tas de sable.

A ceux qui n’ont pas envie de lever le pied, je recommande d’ailleurs d’examiner plus en détails les résultats de l’enquête mentionnée plus haut, qui leur permettront de constater que le péril vert est dans le fruit. Ils verront par exemple que 44 % des personnes interrogées considèrent que la mesure mort-née aurait fait "baisser significativement la pollution émise par les voitures". Comme il apparaît raisonnable d’imaginer que les 25 % de ceux qui appuient une baisse de la VMA soient inclus dans cette population, ça nous laisse tout de même 19 % de répondants en situation inconfortable de dissonance cognitive, sur le mode de "je ne renonce pas à rouler vite, même si je sais que ça contribue au réchauffement planétaire". Et ça démontre quoiqu’on en dise que certains messages ont été entendus.

Dans le même registre, on retrouve dans l’argumentaire développé par la CCC en faveur des 110 km/h sur autoroute l’affirmation selon laquelle leur mise en place permettrait de "réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre en moyenne". Mais si vous cherchez une note de bas de page, ou le renvoi à une quelconque étude permettant d’étayer cette assertion, vous en serez pour vos frais.

Le véritable rideau de fumées toxiques que nous propose le document de la CCC sur le sujet ne s’arrête d’ailleurs pas en si bon chemin. En effet, les trois "options intermédiaires, qui pourraient être utilisées comme amendement" également proposées, nous renseignent sur la profondeur des réflexions engagées. Je les livre à votre sagacité, ainsi que mes commentaires parce que je n’ai vraiment pas pu m’en empêcher :

  •  "Favoriser les véhicules moins émetteurs dans les gros péages par une file dédiée aux véhicules électriques ou hybrides". Autrement dit, on augmente le temps d’attente, moteur en marche, des véhicules les plus émetteurs. S’il s’agissait véritablement de réduire les émissions, ne devrait-on faire l’inverse ? Quand la logique de la punition prime sur l’efficacité.
  • "Prévoir sur les autoroutes des tarifs différenciés selon les émissions du véhicule." Ou comment convaincre les conducteurs les moins fortunés possédant les véhicules les plus anciens à délaisser les voies dites rapides pour mieux profiter des nombreux cycles d’arrêt et redémarrage du réseau secondaire, lesquels contribueront sans aucun doute à la réduction des émissions.
  • "Prévoir sur les autoroutes des tarifs différenciés selon la vitesse du véhicule : +20% si on roule à 130 km/h de moyenne, -20% si on roule à 110km/h, ce qui pose la question du calcul de la vitesse entre 2 péages, avec une question liée à la prise en compte des pauses." Quoi de plus logique que de pondre une usine à gaz puisqu’il est question d’émissions ? Ajoutons-y une belle incohérence, puisqu’une vitesse de 130 km/h en moyenne n’est sans doute réalisable qu’au prix d’un certain nombre d’excès de vitesse, et un droit accordé d’émettre plus moyennant finances aux indubitables accents sociaux. Les amateurs de "grosses cylindrées" -comme dirait Bruno Le Maire- apprécieront.

Dois-je encore mentionner la délicieuse indication selon laquelle "il est possible de noter que la vitesse maximale autorisée est inférieure à 130 km/h dans de nombreux pays", suivie de quatre exemples au rang desquels figure le Brésil ? Je propose d’offrir un billet pour Rio à deux ou trois membres de la Convention, que je m’engage à prendre en charge dès leur arrivée à l’aéroport afin de leur faire découvrir à quel point le réseau autoroutier local ressemble aux autopistes gauloises.

Du coup, je me suis tourné vers des spécialistes, des vrais. Je me suis donc penché jusqu’aux maux de dos et de tête sur un document de l’Ademe (l’Agence de la transition écologique) datant de février 2014, intitulé "Impact des limitations de vitesse sur la qualité de l’air, le climat, l’énergie et le bruit", lequel compile les résultats de 16 études européennes faisant appel à différentes méthodologies.

Qu’a pu donc y apprendre un néophyte comme moi, qui ne lit pas couramment les équations ? (y en a !). Et bien d’abord qu’aucune des études en question ne concerne un abaissement de la VMA de 130 à 110 km/h. Je me suis donc rabattu sur deux d’entre elles, portant sur une réduction à 90 km/h d’une voie auparavant limitée à 110 et 130 km/h. La première (réalisée dans l’agglomération tourangelle) présente une réduction des émissions comprise entre 3 % et 16 % selon le type de polluant, sans mesure de CO2. La deuxième (effectuée sur l’A9) montre des réductions plus significatives, puisque comprises entre 14 et 28 % et accompagnées d’une diminution de 17 % des émissions de CO2. Oui mais : les calculs de cette dernière ont été effectués en tenant compte des vitesses maximales autorisées et non de vitesses réelles, ce qui paraît pour le moins hasardeux. Or la vitesse moyenne des véhicules légers en 2018 en France a été de 120 km/h sur autoroute, et de 106 km/h sur doubles voies avec terre-plein central. Non seulement la vitesse moyenne réelle est donc inférieure à la VMA, mais le différentiel entre les deux s’amenuise à mesure que la limitation se sévérise.

Vous me suivez toujours ? Allez, j’en rajoute une couche avec une troisième étude réalisée par l’association AtmoPaca portant cette fois sur une réduction de la vitesse à 70 km/h sur une portion initialement limitée à 130, 110 et 90 km/h, faisant état de réductions des émissions pour le moins modestes, de 0,26 % à 5,47 % selon le type de polluant, et de 3,13 % du CO2.

On est donc bien avancés. En dehors de mon petit rapport d’étonnement personnel quant à l’inexistence d’un document de portée nationale plus récent sur un sujet si important ou s’agissant de la dispersion méthodologique rendant les comparaisons pour le moins hasardeuses, j’ai tout de même trouvé deux trucs intéressants vers la fin du PDF, comme pour me remercier de l’avoir lu jusqu’au bout.

D’abord, il semblerait que les courbes d’émissions d’oxyde d’azote, de particules fines et de CO2 d’un véhicule suivent une parabole tournée vers le bas. Si le nul en maths que je suis a bien compris, un véhicule émet dans certains cas autant (voire un peu moins) à 130 km/h sur l’Autoroute du Sud qu’à 10 km/h au coin de la rue de Rivoli et de celle du Temple, alors que son niveau le plus bas se situe vers les 70 km/h. Mais surtout, les mêmes courbes comparées sur plusieurs années nous rappellent les immenses progrès effectués par les moteurs entre 2007 et 2015, sans même évoquer les projections établies pour 2020 et 2025. Les chiffres en la matière sont autrement plus impressionnants que ceux abordés jusqu’ici.

Warning : C’est à ce moment très précis de ma chronique que je m’insurge. Depuis plusieurs années, l’automobile est en effet présentée comme un fléau, et particulièrement attaquée sur les deux sujets sur lesquelles elle a précisément accompli les progrès les plus spectaculaires, autrement dit la sécurité et les émissions. L’ahurissant projet de décret en cours prévoyant que la publicité consacrée à l’automobile comporte des mises en garde sur les méfaits de la mobilité individuelle entérinerait d’ailleurs s’il était appliqué l’idée selon laquelle l’achat et l’usage d’un véhicule constituent des actes coupables.

Dans ce contexte d’agression permanente à son égard, l’Homo Automobilis me paraît bien absent. Lâché par des constructeurs qui ne peuvent s’exprimer librement à l’égards de pouvoirs publics dont ils dépendent (situation renforcée par les crises coronariennes) et qui ont perdu en crédibilité auprès de la Commission européenne suite au Dieselgate, il se représente bien mal lui-même.

Sans doute serait-il temps que le citoyen motorisé se rende compte que ni l’abstention lors des différents scrutins électoraux, ni les vitupérations virulentes sur les réseaux dit sociaux, ni les dégradations physiques de mobilier urbain ou pas ne servent sa cause. Et peut-être devrait-il s’interroger sur les raisons pour lesquelles une population aussi nombreuse que la sienne dispose d’un pouvoir aussi réduit.

N’étant pas du genre à tomber dans les travers que je dénonce, j’ai donc décidé d’agir. Réuni avec moi-même en CCA (Convention Citoyenne Autoproclamée) je souhaite donc moi aussi apporter ma contribution, avec deux propositions :

  • La première, c’est d’instituer un référendum sur le relèvement à 160 km/h de la vitesse maximale autorisée sur autoroute. A l’heure où tout va plus vite, des trains en passant par la cuisson du riz, les avions ou le lavage du linge en machine, il me paraît en effet important de reprendre le vrai cours de l’histoire. Mais contrairement à la CCC, je propose que cette décision soit documentée sur ses vrais impacts en matière d’émissions et non sur de simple élucubrations. Si ce calcul vous effraie, songez au nombre réel de kilomètres qui seront parcourus à des vitesses supérieures à celles aujourd’hui autorisées, en tenant compte du fait qu’un droit ne constitue pas une obligation.
  • La deuxième, c’est de promouvoir les gestes simples, peu coûteux et non punitifs susceptibles d’avoir un impact réel sur la réduction des émissions de toutes sortes. On pourrait commencer par une campagne incitant l’automobiliste sonde lambda à changer plus régulièrement son filtre à air. Je vous fiche mon billet que cette mesure pourrait avoir un impact bien plus important que vous ne l’imaginez, surtout si on considère que l’âge moyen du parc automobile français est de 10,6 ans. Travailler sur les voitures qui sont dans la rue et pas seulement celles qui décorent les show-rooms, n’est-ce pas une idée révolutionnaire ?

Enfin, permettez-moi de terminer par un hommage. Parce que s’il m’est donné un jour de revivre ma "journée allemande" au volant d’une Porsche et d’une Jaguar, c’est aux ingénieurs que je devrais d’en profiter en rejetant beaucoup moins de polluants et de gaz à effet de serre qu’il y a 25 ans. Autant dire, de vrais écolos.
Qu’ils en soient ici remerciés.

Jean-Philippe Thery

Jean-Philippe Thery a travaillé pour l’Alliance Renault-Nissan et PSA, en France et au Brésil. Il est aujourd’hui consultant en Marketing Intelligence, et publie une chronique hebdomadaire sur Autoactu.com, où il livre sa vision impertinente de l’actualité automobile.