Paroles de Franciliens après la fermeture des voies sur berges : la vie quotidienne gâchée sans raison valable

En pleine bataille de chiffres à propos de l’état de la circulation après la fermeture des voies sur berges, les témoignages poignants de Franciliens qui subissent cette décision donnent le vrai poids de ce désastre.

La Ligue de Défense des Conducteurs s’est mobilisée contre la fermeture des voies sur berges en adressant, avant le vote au Conseil de Paris, une pétition à tous les conseillers pour leur demander, au nom de tous les signataires, de s’opposer à cette mesure. Depuis, notre association suit attentivement les six mois d’évaluation de cette décision aberrante et égoïste d’Anne Hidalgo. Dans ce cadre, la Ligue examine, au-delà des clivages partisans, les conséquences de ce blocage artificiel de la circulation pour tous les conducteurs.

En effet, les élus sont enfin sortis de leur torpeur : quelques jours après avoir publié un rapport qui constatait une hausse du trafic et des temps de parcours après la fermeture des voies sur berges, la région Île-de-France a déposé un recours contre cette décision auprès du tribunal administratif. Cette démarche est notamment motivée par le fait que la voie Georges-Pompidou a un rôle régional et que la concertation sur ce projet aurait donc dû prendre davantage en compte l’Île-de-France.

Dans la foulée, 168 maires franciliens ont écrit à Anne Hidalgo une lettre ouverte de protestation contre les embouteillages artificiellement créés à Paris et bien au-delà par cette mesure absurde.

S’agit-il d’une classique rivalité politique ? Non. En effet, si ces nombreux élus s’engagent sur ce dossier, c’est qu’ils perçoivent son effet sur leurs administrés au quotidien.

D’ailleurs, à la Ligue de Défense des Conducteurs, nous avons reçu des témoignages poignants de Franciliens à ce sujet. Nous les avions interrogés principalement sur l’évolution de leur temps de trajet. Or ils ne s’en sont pas tenus là dans leurs réponses. En effet, pour tous, ce temps perdu chaque jour a des conséquences dans tous les aspects de leur vie. Voici une revue de détail de leur expérience :

Au minimum, les temps de trajet ont doublé. Le demandeur d’emploi rate un entretien d’embauche. L’employé arrive en retard. Ou alors il part beaucoup plus tôt de chez lui s’il doit prendre un train en gare de Lyon. L’employeur doit payer des heures supplémentaires. Les professions indépendantes réduisent leur nombre quotidien de rendez-vous avec des clients. Les difficultés économiques remettent parfois en question l’exercice du métier lui-même.

La pollution due aux embouteillages est constatée avec d’autant plus de dépit que le blocage de la circulation est artificiel, la voie Georges-Pompidou étant désormais peu fréquentée. Pendant ce temps, le périphérique et tant d’autres axes essentiels sont saturés. Les conducteurs sont donc énervés.

À deux ou à quatre roues, aux heures de pointe comme aux heures antérieurement creuses, depuis une ville proche ou lointaine, l’accès à Paris puis la traversée de la capitale sont évoqués comme une course d’obstacles, notamment pour les livraisons.

Les premières victimes de cette situation sont les personnes qui souffrent d’un handicap, du poids des ans ou d’affections plus légères : tous ceux pour qui une longue marche ou un trajet à vélo sont impossibles. Outre les problèmes de santé, bien des gens envisagent difficilement d’emprunter les transports en commun avec leurs poussettes ou du matériel professionnel. S’ajoute à cela une difficulté incontournable : l’éloignement entre leur domicile ou lieu de travail et la capitale. En effet, si les gens continuent à utiliser leur véhicule malgré les contraintes que cela implique, c’est pour éviter de devoir combiner deux fois par jour plusieurs moyens de transport. Sinon, venir de banlieue à Paris ou alentour requiert souvent de prendre d’abord un bus, puis un train puis une ou deux lignes de métro.

Alors, quand tout devient trop dur, on renonce à se déplacer. Cette triste résignation est qualifiée par la mairie de Paris d’évaporation de la circulation. Que recouvre cette expression scientifique et cynique pour ceux à qui elle s’applique ?

C’est d’abord l’agrément perdu : le musée que l’on ne visite pas, le restaurant où l’on ne va plus. Les achats qu’on fait ailleurs qu’à Paris ou pas du tout.

Puis ce sont les visites aux parents âgés ou hospitalisés que l’on espace.

C’est l’employée qu’il faut payer pour garder les enfants car les horaires ne sont plus tenables. Et même quand les grands parents valides font le trajet pour s’occuper de leurs petits-enfants, tout est plus compliqué et plus long.

Ce sont des journées à rallonge, de la fatigue, du stress, une vie de famille fragilisée.

Face à tant de difficulté, les défis du quotidien deviennent des questions existentielles : l’artisan sera-t-il toujours disponible pour les chantiers ? Le médecin, l’agent immobilier, l’assureur ou la décoratrice d’intérieur vont-ils pouvoir longtemps restreindre leurs déplacements professionnels ? Faut-il déménager, travailler ailleurs ? Est-ce possible ? Comment un réseau de librairies opèrera-t-il dans un contexte économique difficile si les livraisons sont compliquées tous les jours ? Par ailleurs, les commerces (y compris des enseignes haut de gamme) pour qui la logistique devient délicate, qu’ont-ils gagné ? Des difficultés supplémentaires pour remplir les exigences d’un service personnalisé. Et, toutes situations confondues, quand le péril survient, les pompiers pourront-ils y faire face quand la mairie prend ainsi le risque de bloquer la circulation ?

Au total, ne peut-on pas attendre autre chose d’une capitale ? Pourquoi se prive-t-on d’une infrastructure existante et efficace ? Pourquoi aucune alternative sérieuse de transport n’est-elle prévue ? Qui croira qu’on puisse mettre davantage de monde dans le RER A ? La frivolité est-elle aujourd’hui le maître-mot des politiques de transport ?

Toutes ces questions et remarques font partie des témoignages que nous avons reçus. Ces cris du cœur nous ont émus. Nous remercions donc chacun de leurs auteurs pour leur franchise, en regrettant de ne pouvoir tous les citer ici. Voici donc quelques extraits de ces paroles de Franciliens. L’impression qui s’en dégage est celle de vies profondément malmenées par les conséquences d’une décision futile. Cette lecture confirme et accroît notre détermination à obtenir la réouverture des voies sur berges :

Temps de trajet :

« Circulant en scooter ou vélo, […] je suis soumise au même allongement de temps de trajet que les automobilistes […]. » (E. S.)

« Mamie de 70 ans, j'habite en banlieue ouest […]. Ma fille […] à Paris […] travaille jusque tard le soir […]. Je me dois donc d'assumer ses enfants, en âge scolaire, plusieurs soirées par semaine et la journée du mercredi. […] Mon parcours s'est rallongé de 45 min par rapport au précédent par les voies sur berges et il se situe en dehors des heures de pointe. » (D. T.)

« Depuis la fermeture des voies sur berge mes temps de trajet en voiture ont considérablement augmenté. (Multipliés par 2 voire 3). Je prends tous les jours les périphériques […]. Pour traverser ou aller dans le centre de Paris, c’est quasi infaisable. Et pourtant certains de mes RV m’y obligent. Je suis obligée de prendre un délai plus long, donc une perte de temps considérable. »

« J'habite en banlieue est et je mettais plusieurs heures à rejoindre mon lieu de travail. […] Ne pouvant pas supporter les transports qui se dégradaient, […] j'ai changé de travail pour un temps partiel en Suisse (au final mes trajets de 2x5 heures hebdomadaires prennent moins de temps que 5x4 heures des trajets de banlieue). Je ne vois plus ma famille qu'une semaine sur deux […]. La voiture est toujours la seule option malgré les difficultés qui s'aggravent […]. » (A. P.)

Pollution :

« Aux alentours des voies sur berge […] l'atmosphère est irrespirable tellement les voitures sont au ralenti moteur tournant. » (X.)

Fatigue :

« Ce qui entraine […] une grosse fatigue, de la déconcentration au niveau de la conduite. » (F. C.)

Entretien d’embauche raté :

« J’ai raté un rendez-vous d’embauche à 9h. » (M. C.)

Vie professionnelle / livraisons :

« Agent immobilier basé à [NDLR : une commune du 92], j'ai des biens à vendre sur l'Est de Paris. […] Maintenant […] je me confronte aux embouteillages monstrueux et perd environ deux à trois heures (aller et retour) à chacun de mes déplacements. » (R. T.)

« Je suis décoratrice d'intérieur. […]. Beaucoup de magasins de décoration, de showrooms de meubles, de carrelages, de sanitaires sont dans l'est parisien […]. Je n'ose plus aller les voir. […] Maintenant cela prend beaucoup trop de temps. Alors bien sûr il y a le métro. Vous vous baladez souvent en métro avec un paquet d'échantillons vous, un parquet PVC, des carrelages, des plans, des boites d'échantillons de peinture, des catalogues de papier peint ? » (D.)

« J'ai […] une vingtaine de kilos de bouteilles à transporter et plusieurs clients à voir par jour. C'est devenu mission impossible, notre chiffre d'affaires s'en ressent […]. » (X.)

« La fermeture des voies sur berges a augmenté de 30 à 40 % le temps de trajet de nos chauffeurs qui relient quotidiennement nos 7 librairies d'Ile-de-France. […] Les temps de trajet allongés nous contraignent à payer des heures supplémentaires insoutenables pour nos PME. » (A. R.)

« Périphérique saturé […]. Conséquence : nos 4 camions de livraison de produits sont en permanence retardés que ce soit sur Paris ou sa couronne. » (E. D.)

« Cette fermeture est une punition pour les habitants de l’est parisien. Beaucoup de bureaux sont dans l’ouest de la ville donc professionnellement cette fermeture nous condamne aux bouchons pour rentrer chez nous. » (H. D.)

« Cela m’oblige à utiliser mon deux roues par tous les temps […], avec des risques d’accident importants pour tenter de maîtriser mes horaires de travail. » (E. K.)

« Mon trajet : domicile […] vers mon cabinet médical […] est passé de 30 à 40 mn avant la fermeture des voies) à une durée de 2h le matin en moyenne et 1h30 le  soir, soit plus de 3h par jour dans les embouteillages. Avec épuisement professionnel à la clé, attente pour les patients, pollution […]. Au point d'envisager une cessation d'activité. » (A.L.)

Vie de famille :

« Mon temps de trajet est multiplié par deux, je suis obligée de prendre une nounou en plus pour s'occuper de mon fils le matin et le soir car je dois partir plus tôt et je rentre plus tard. J'ai des problèmes avec mes clients à cause de mes retards […]. Je vois moins mon fils donc je suis déprimée... Ayant du matériel […] à transporter je n'ai pas le choix que de prendre ma voiture. » (N. B.)

« Je rentre plus tard et je m'occupe de mon gosse à 21h au lieu de 20. » (E. B.)

Limitation des déplacements :

« Depuis la fermeture de la voie sur berge je reste à Créteil et n'achète donc plus rien. […] Aujourd'hui […] Il n'y avait aucun vélo ni piéton en contrebas sur la voie sur berge et toutes les voitures étaient bloquées à hauteur de la Mairie de Paris. » (M. D.)

« Je réside dans l'ouest parisien et mes parents âgés habitent dans le 12ème arrondissement. Je faisais donc ce trajet 2/3 fois par semaine. Depuis cette scandaleuse fermeture des voies sur berges, qui augmente mon trajet de + de 2 heures aller et retour, je ne fais plus qu'une visite le week-end. » (R. J.)

 J'aimais bien aller au resto à St Germain […]. Je reste dorénavant autour de Vincennes […]. » (O. M.)

Accès à la gare de Lyon :

« De plus, je dois souvent aller chercher une personne de ma famille handicapée qui arrive de province à la gare de Lyon, donc en voiture […]. Nous, les habitants de l’ouest de Paris, ne comprenons pas comment la ville de Paris peut se priver de l’axe principal et incontournable nous permettant d’accéder à l’est de la capitale […]. » (T. F.)

« Le trajet […] par les voies sur berge jusqu’à la gare de Lyon prenait environ 30 à 45 min maximum vers 17/18h. Il me faut prévoir maintenant 1h30 pour ne pas rater mon train […]. » (F. M.)

« Je suis un habitué de la gare de Lyon soit pour prendre moi-même le train soit pour aller chercher des amis/ de la famille. Je le faisais avant en voiture, maintenant je leur demande de prendre un taxi d’où une dépense supplémentaire. […] Prendre le métro avec des valises n’est pas très aisé surtout à plus de 60 ans. » (J. M. R.)

Handicap :

« Je suis une personne à mobilité réduite (PMR) et les transports en commun sont un enfer […]. Mon trajet automobile […] jusque-là était en moyenne de 40’. Depuis que les voies sur berges sont fermées […] il me faut en moyenne 60’ pour me rendre à mon bureau […] pour arriver stressée, fatiguée énervée par ces bouchons totalement inutiles. » (M. B.)

Personnes âgées :

« J'habite le Perreux sur Marne et suis présidente d'une association dont certains membres sont âgés. Afin de leur permettre d'avoir accès aux expositions, je les emmène en voiture (co-voiturage 5 personnes). Je prends soin de partir et de revenir aux heures creuses. Cette pratique me permettait d'être à pied d'œuvre en une demi-heure jusqu'à la fermeture des berges. Depuis la fermeture, plus d'heures creuses et les trajets sont de 1h15 à 1h30 environ. » (E. V.)

Pompiers / urgences :

« En tant que médecin, je me demande comment font les pompiers et le Samu pour se rendre sur les lieux correspondant aux différents appels ; les délais sont complètement augmentés, voir les horaires de la BSPP. […]. Dr […] médecin retraité, médecin colonel sapeur pompier er. »