Soigner le rond-point plutôt que la route : une impasse pour la sécurité routière

L’implantation de carrefours giratoires reste une tradition politique en France : un geste visible pour longtemps, qui tend à dédouaner les élus de leur responsabilité dans les futurs accidents. Ces projets coûteux trouvent toujours un financement, malgré la baisse générale des investissements routiers. Des remèdes personnalisés aux problèmes des chaussées vaudraient mieux que cette apparence d’action en forme de réponse type.

          

    

          

Avec en moyenne un rond-point par commune, la France connaît un taux exceptionnel d’équipement en la matière. Et il s’en construit toujours 500 par an, en moyenne. S’agit-il du concours du plus beau carrefour ? En tout cas, chaque ville ou village peut participer à cette surenchère qui va du mini rond-point à l’ouvrage pharaonique. Le rapport bénéfice/coût de ce genre d’équipement en vaut-il vraiment la chandelle ?

Mais tout d’abord, si l’on souhaite à tout prix construire un rond-point, a-t-on vraiment besoin d’une intersection à équiper ? Non, une simple ligne droite peut suffire car il serait dommage de priver le moindre chemin des bienfaits de la rotondité...

En effet, le bénéfice attendu d’un tel ouvrage est de réduire le nombre d’accidents, de fluidifier la circulation et de réduire la vitesse des véhicules. Cependant le recours quasi-automatique au rond-point n’est pas adapté à toutes les intersections ni à tous les budgets. Ainsi, pour le prochain aménagement d’un carrefour à Lécousse, en Ille-et-Vilaine, la commune a-t-elle opté pour des feux plutôt que pour un rond-point. Les raisons avancées ? La sécurité des piétons sera meilleure ; il n’y a pas assez de place pour installer un giratoire ; et le coût du rond-point est élevé. CQFD.

Quant au coût, maintenant : le prix d’un rond-point va généralement de 200 000 à plus d’un million d’euros.

En effet, réussir un rond-point est plus complexe qu’il n’y paraît ; comme pour compléter toutes les faces d’un Rubik’s cube, cela suppose de résoudre de nombreux défis en même temps : la construction d’un giratoire entraîne souvent des achats de terrain et des travaux concernant la chaussée (nivellement, enrobé) et la signalisation ; elle oblige aussi à déplacer des réseaux enfouis (eau, téléphone, électricité…) et à bâtir un décor qui traduise l’âme du lieu. L’addition est à la hauteur de tous ces efforts. En somme, comme le cercle qui le constitue, le coût d’un rond-point est sans fin. Toutefois, devant l’ouvrage abouti, la satisfaction de ne pas avoir installé un simple stop n’a pas de prix.

Et que dire de certains des monuments et sculptures qui subliment les giratoires ? Ces compléments paysagers auraient-ils un effet bénéfique sur la sécurité routière ?

En tout cas, il est indéniable qu'à l’approche de certains carrefours giratoires, les conducteurs ralentissent autant pour laisser passer d’autres véhicules que pour admirer le décor central en forme d’escargot, de grenouille, de fusée ou de soucoupe volante : c’est parfois un petit pas pour l’histoire de l’art mais un grand pas pour la renommée d’une commune.

La Ligue de Défense des Conducteurs, qui sonne l’alarme sur la baisse de l’investissement dans l’entretien du réseau routier, demande aux aménageurs de sortir de cet effet de mode au mieux inutile, au pire carrément ridicule et honteusement coûteux. En effet, il est urgent de rétablir les priorités pour que chaque danger inhérent à la route soit traité, qu’il s’agisse de l’état de la chaussée ou de l’organisation de la circulation. Or, au vu des dépenses régulièrement allouées à des ronds-points, que les pouvoirs publics ne s'avisent plus de répondre qu’il n’y a pas d’argent pour réparer les routes ! Surtout si la décoration centrale du rond-point, d’un aspect parfois déroutant, bénéficie d’un budget qui en met, lui aussi, plein la vue.