L’état des lieux de la Cour des comptes est accablant : les chaussées de la région Île-de-France sont les pires du pays. Rien de nouveau, hélas. Depuis qu’en 2010, l’État a démantelé les Directions départementales de l’équipement, qui assuraient l’entretien des routes et dont les compétences n’étaient pas à prouver, il ne reste plus grand-monde pour se préoccuper du réseau routier français et encore moins en région parisienne qu’ailleurs. Navrant et édifiant.
Alors qu’aucun audit sérieux ne mesure concrètement la dégradation du réseau routier français – même si nous, conducteurs, nous la constatons chaque jour –, les raisons de nous alerter se multiplient. Maintenir nos routes en bon état devrait pourtant être une priorité pour notre pays. Non seulement elles nous relient les uns aux autres, économiquement et socialement, mais en plus, alors que dans 30 % des accidents mortels, l’infrastructure est identifiée comme l’un des facteurs en cause, leur entretien s’avère primordial dans le cadre d’une politique concrète d’amélioration de la sécurité routière.
Mais c’est tout le contraire qui se passe depuis une vingtaine d’années. Dans un rapport au vitriol publié en juin 2025, la Cour des comptes illustre cette lente et dramatique dégringolade en se concentrant sur le « cas » de l’Île-de-France. Son verdict : « Il s’agit de la direction interdépartementale [NDLR, la direction des routes d’Île-de-France] où la proportion du linéaire considéré en bon état s’avère la plus faible ». Selon l’institution, 29 % des routes sont en « bon état », pour une moyenne nationale à 51 %. Des « entretiens de structure » sont à réaliser sur 36 % du réseau, ce qui est aussi quasiment la pire situation de France. Seule la direction des routes Méditerranée est encore plus à plaindre, avec 37 % de son réseau qui nécessite une intervention de fond.
Le reste du constat dressé par la Cour des comptes est à l’avenant. La direction francilienne des routes a accumulé un retard impossible à rattraper sur les entretiens préventifs et donne désormais la priorité « aux désordres les plus graves », ce qui mène donc à « une pérennisation de la situation », selon l’institution. Les panneaux, marquages routiers et autres équipements sont « en mauvais état général », les magistrats signalent que « 20 à 30 % du linéaire présentent un marquage dégradé, peu ou pas visible la nuit ». Les ouvrages d’art (ponts, tunnels…) d’Île-de-France ne seraient pas forcément en plus mauvais état qu’ailleurs, même si une récente dégradation a été remarquée, tandis que les fréquences de contrôle ne seraient pas respectées, souligne le rapport. À la Ligue de Défense des Conducteurs, ce triste constat nous l’avons fait il y a des années (et pour tout le pays), notamment à travers notre étude « Dégradation des routes en France : il est urgent d’agir » publiée en 2020.
Des instruments de mesure défaillants
Autre constat choquant : la Direction interdépartementale des routes d’Île-de-France (DIRIF) ne disposerait d’aucun instrument fiable pour évaluer l’état et l’évolution du patrimoine routier. La Cour des comptes signale en effet que les équipements de mesure sont défaillants, que les cartographies d’affluence de circulation sont obsolètes, et qu’il n’y pas de connaissance fine des trafics des poids lourds, alors que ce sont essentiellement eux qui dégradent les chaussées. Incroyable…
Il faut donc remonter vingt années en arrière pour comprendre la situation actuelle (qui ne se limite pas à l’Île-de-France). À cette époque, le gouvernement en place décide de drastiquement réduire les dépenses consacrées aux routes. Les scandaleuses conditions de la privatisation des autoroutes découlent d’ailleurs de la même logique et des mêmes personnes. En décembre 2006, un rapport du Conseil général des Ponts et Chaussées tire déjà la sonnette d’alarme : « Comparaison entretien réseau national et réseau concédé : à périmètre comparable, l’État dépenserait en grosses réparations stricto sensu environ 17 000 € par an et par kilomètre exploité pondéré, soit 10 000 € de moins que les concessionnaires », est-il indiqué. Le 26 avril 2011, dans sa question écrite adressée au gouvernement, le député de Meurthe-et-Moselle Christian Eckert expose, acerbe : « Les crédits affectés à l’entretien des routes nationales sont en baisse constante depuis plusieurs années. Ainsi, de 424 millions d’euros en 2009, ils sont passés à 335 millions d’euros en 2010 et à 227,6 millions d’euros en 2011. Ce désengagement fait suite au transfert vers les départements de la gestion de plusieurs milliers de kilomètres de routes en 2006 et 2007 », souligne-t-il alors.
Tout le monde dehors
L’État a en réalité procédé en deux temps pour pulvériser le ministère de l’Équipement et tout le savoir-faire qui était le sien en matière d’infrastructures routières. L’acte 1 demeure la volonté de décentralisation évoquée par le député Eckert : la compétence de gestion des routes a bel et bien été confiée aux départements ; mais de là à leur en octroyer les moyens… ce pas n’a évidemment pas été franchi. Fin 2013, l’acte 2 germe dans la tête de nos dirigeants. Pourquoi ne pas créer une grande officine consacrée aux routes ? Celle-ci se nommera le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) et sera la résultante de la fermeture du Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les transports publics), du Setra (Service d’études techniques des routes et autoroutes), des Cete (Centres d'études techniques de l'équipement), du Cetmef (Centre d'études techniques maritimes et fluviales), etc. Ce regroupement, prévu pour faire des économies, a eu la conséquence vraisemblablement souhaitée par le gouvernement d’alors : nombreux sont les employés qui en ont profité pour prendre leur retraite, voire la poudre d’escampette pour ceux qui sentaient le vent mauvais arriver. Emportant avec eux leurs multiples compétences… Un article de la Gazette des communes de novembre 2017 en dresse le constat à peine trois ans plus tard : « Soumis à une cure d’austérité chaque année, l’établissement public [ndlr, le Cerema] arrive cette fois à l’os. Pour 2018, le projet de loi de finances prévoit une baisse de 5 millions d’euros du budget et une nouvelle baisse d’effectifs de 105 postes par an de 2018 à 2022. Si bien que la direction de l’établissement a annoncé le 18 octobre le projet de fermeture de la direction territoriale d’Île-de-France d’ici 2020. » Le rapport de la Cour des comptes signale enfin que « la dernière étude d’enjeu visant à identifier les itinéraires les plus accidentogènes remonte à 2017 et n’a donné lieu à aucun plan d’actions ».
Si l’Île-de-France fait l’objet de ce rapport sans concession de la Cour des comptes, ce désintérêt pour l’entretien des routes et ce déficit de compétences s’observent donc en réalité dans tout le pays. De quoi nous motiver encore plus, à la Ligue de Défense des Conducteurs, pour continuer à sensibiliser élus, médias et grand public. Pour continuer aussi à promouvoir notre appli de signalement de zones dangereuses Activ’Route. Déjà plus de 24 000 usagers (tout le monde est concerné : automobilistes, piétons, cyclistes, utilisateurs de trottinettes, de scooters, de motos, de tracteurs, d’utilitaires, de camions, de cars…) ont rejoint notre communauté d’acteurs engagés pour participer à l’amélioration du réseau routier. Comment ça marche ? Après avoir identifié un nid-de-poule, un marquage au sol effacé, de la végétation qui couvre un panneau de signalisation, un ralentisseur illégal… il suffit de géolocaliser le problème sur notre appli (téléchargeable gratuitement sur iPhone et Android) et nous, nous récupérons le signalement et nous le transférons au gestionnaire de voirie concerné pour l’inviter à intervenir.
Si cette dégradation de l’état des routes vous inquiète vous aussi, si vous voulez participer à l’effort commun, devenez vous aussi un Activ’Routeur. Que vous circuliez en Île-de-France, ou partout ailleurs dans notre pays… dont la qualité du réseau lui permettait encore, au début des années 2010, de caracoler en tête d’un classement mondial pour l’état des routes, avant d’être rétrogradé à la 18e place en 2019. Ce n’est pas seulement désolant, c’est inacceptable.