ZFE : à Illkirch, un référendum pour une application moins brutale

La mise en place accélérée des Zones à faibles émissions (ZFE) va interdire l’accès de nombreuses métropoles à des millions de Français, propriétaires de véhicules indésirables car trop anciens. À Illkirch-Graffenstaden, ville intégrée à la ZFE de l’Eurométropole de Strasbourg, la résistance s’organise. Le maire, Thibaud Philipps, s’inquiète des retombées sociales de ce calendrier de « mise à la casse » à marche forcée. Ses armes pour lutter ? Consultation publique et référendum. Des initiatives fortes et concrètes que la Ligue de Défense des Conducteurs a voulu saluer en lui donnant la parole.

Pour la mise en place des Zones à faibles émissions (ZFE), il est urgent d’attendre ! À mesure que ces larges métropoles urbaines (au nombre de 11 d’ici à 2022, 45 à terme) dévoilent la ribambelle de mesures d’exclusion de véhicules trop anciens, à des dates différentes selon qu’ils soient essence ou diesel, dans des périmètres propres à chacune, la confusion s’installe. Si tout le monde s’accorde pour convenir de réduire émissions et particules fines, le calendrier de mise au rebut des modèles les plus polluants doit être calculé en fonction de la capacité des Français à les remplacer. Alors que la loi Climat ne prévoit l’interdiction de circuler, à terme, qu’aux véhicules Crit’Air 3 et plus (à un rythme déjà complètement irréaliste), l’Eurométropole de Strasbourg souhaitait initialement étendre cette mesure aux Crit’Air 2 dès 2025. Trop précipité, trop violent pour le maire d’Illkirch-Graffenstaden, Thomas Philipps (LR), que la Ligue de Défense a interviewé alors que Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole, venait tout juste d’annoncer un report de cette échéance à 2028 (ce qui, fondamentalement, ne change pas grand-chose). Il nous explique pourquoi.

Ligue de Défense des Conducteurs : Pourquoi Illkirch-Graffenstaden se pose-t-elle comme pionnière de la mobilisation visant à reporter la mise en place de la ZFE ?

Thibaud Philipps : Nous nous sommes rendu compte qu’avec l’application d’une ZFE dans la métropole de Strasbourg, trois quarts des automobilistes ne pourraient plus circuler. Cela laisserait beaucoup de monde au bord de la route. Un calendrier qui nous donnait jusqu’à 2030 me paraissait un tout petit peu plus acceptable, dans le sens où une transition douce et un accompagnement pouvaient être mis en place. C’est extrêmement brutal pour nos populations. Changer de voiture, ça a un coût certain et tout le monde n’a pas les moyens aujourd’hui de dire « je jette mon véhicule qui peut continuer à rouler pour aller vers un véhicule dit propre ». La présidente de l’Eurométropole a annoncé mercredi 21 avril un nouveau calendrier concernant la mise en place de la ZFE (Zone à Faibles Émissions Mobilité) et la sortie du diesel. La mobilisation de nos concitoyens, notre détermination et notre action ont permis de faire reculer et de desserrer le calendrier et je m’en félicite. Néanmoins, la mise en œuvre de la ZFE sur le territoire de l'Eurométropole de Strasbourg prévoit également l’interdiction de circulation des véhicules Crit’Air 2, alors qu’aucune loi ne l’oblige. Nous refusons d’être plus royalistes que le roi. 

Il faut que des villes se mobilisent en alertant leurs citoyens. C’est un sujet d’importance et les gens ne mesurent pas encore tout à fait l’impact que cela aura sur leur vie quotidienne. 

La consultation auprès de vos concitoyens vous a-t-elle permis de mieux les sensibiliser ?

Pour vous donner une idée, la précédente consultation organisée dans la commune concernait l’extinction de l’éclairage public la nuit, donc un sujet qui concerne tout le monde. Nous avions obtenu 400 réponses. Pour la ZFE, nous en sommes déjà à 1 500 et la consultation n’est pas finie. Il ressort de cette participation que 84 % de nos concitoyens souhaitent un référendum sur le sujet. Pour respecter le délai légal de deux mois pour le mettre en place, nous venons de valider son organisation en conseil municipal. Il aura donc lieu le 27 juin, en même temps que le deuxième tour des élections départementales et régionales. 

Qu’allez-vous faire des résultats de la consultation et du référendum ? Quelle portée imaginez-vous pour votre action ?

Aujourd’hui, l’avantage du référendum, au-delà de la consultation qui donne quand même des résultats assez nets sur un fort rejet de cette mesure, c’est d’être un processus légal, reconnu, qui va pouvoir donner le pouls à l’instant T… Mais surtout, s’il y a 50 % de participation, il devient délibératif, ce qui signifie que la décision du référendum s’appliquera sur la commune d’Illkirch. Sans sortir Illkirch de la ZFE, il sera ainsi possible de circuler, dans notre commune, en véhicule Crit’Air 2, lorsque cette vignette ne sera plus la bienvenue ailleurs dans la métropole. Le 27 juin 2021, les habitants d'Illkirch-Graffenstaden auront l'opportunité de s’exprimer sur l’interdiction de circulation des véhicules Crit’Air 2 à travers un référendum local et inédit en Alsace. Les habitants de 32 autres communes de l’Eurométropole méritent aussi qu’on leur donne l’opportunité de s’exprimer.

À votre avis, votre initiative va-t-elle inspirer certains de vos collègues ?

Plusieurs maires des communes alentour sont sur la même position que moi. On sent qu’il y a une mobilisation qui va s’amplifier dans les prochains temps, parce que les maires autour de Strasbourg sont vraiment conscients qu’aujourd’hui on pénaliserait leur population… Parfois pour certains enjeux électoraux, puisque ce calendrier est surtout porté par Strasbourg et les Verts strasbourgeois. Je pense aussi qu’à l’échelle nationale, notre initiative va sûrement donner des idées à d’autres, dans d’autres métropoles, voire d’autres intercommunalités puisqu’avec la loi Climat, nous parlons d’agglomérations supérieures à 150 000 habitants. Ça commence à concerner beaucoup de monde.

Le principe des ZFE vous a-t-il inquiété d’emblée ?

Oui tout à fait. Dire qu’on interdit la circulation de certains véhicules, ça peut être perçu comme quelque chose de violent. Il faut accompagner cette mesure, faire beaucoup de pédagogie et laisser un temps d’adaptation, de transition, qui soit suffisant Or, ici, nous ne sommes évidemment pas sur la durée de vie d’un véhicule.

J’alerte aussi beaucoup mes collègues maires, élus au suffrage universel, que dans la loi Climat, il y a quand même la possibilité d’un transfert du pouvoir de police du maire au président de l’intercommunalité pour la ZFE. Ça voudrait que demain, ce ne serait plus le maire qui signerait l’arrêté pour sa commune, mais ce serait le président de l’agglomération. On porte encore une fois un coup grave au pouvoir du maire. On nous a déjà affectés par une fiscalité qui nous a privés de la taxe d’habitation, et maintenant on nous enlèverait aussi notre pouvoir de police ! Nous devons nous mobiliser avant.

 

Alors que la Ligue de Défense des Conducteurs prépare une mobilisation nationale liée à un report de l’application des ZFE, nous sommes convaincus que l’exemple d’Illkirch-Graffenstaden fera des émules. Comme le dénonce le maire Thibaud Philipps, l’application stricte du calendrier laissera trop de monde au bord de la route. De la même manière, nous observerons toutes les propositions sensées, visant à permettre aux Français de changer leurs véhicules et leur permettre de pouvoir continuer à circuler partout où ils le souhaitent. Ce qui est d’ores et déjà mal engagé, avec le refus du gouvernement d’aider financièrement les foyers les plus modestes à acquérir un modèle admissible aux vignettes Crit’Air 0 à 2, malgré la demande des députés en ce sens...