Présidentielle : ces candidats pour qui nous sommes invisibles

Au-delà de la flambée du prix des carburants, qui les contraint à prendre la parole pour proposer des solutions, les candidats à l’élection présidentielle sont trop peu à se positionner sur leur programme automobile respectif. Pourtant, s’adresser à ceux qui se font non seulement assommer à la pompe, mais aussi traquer sur la route et chasser des villes, ça ne serait pas complètement aberrant, estime Arsène Vassy, rédacteur à la Ligue de Défense des Conducteurs.

Note : cet article a été initialement publié dans les colonnes de Moto Journal, où la Ligue de Défense des Conducteurs tient une chronique mensuelle.

Si la crise ukrainienne perturbe bien évidemment la campagne présidentielle, laissant peu d’espace aux candidats pour développer leur projet, notre quotidien de conducteur et de motard n’y a de toute façon jamais occupé une place importante. Pourtant, ils devraient en avoir, des choses à nous dire. Si possible, autrement qu’en nous infantilisant, en nous montrant du doigt ou en nous sommant d’acheter un véhicule électrique hors de prix qui bien souvent ne correspond pas à nos besoins.

Ce serait bien qu’ils se rendent compte que notre réalité, c’est un parc vieillissant – parce qu’on n’a pas les moyens de faire autrement –, auquel on refusera bientôt l’accès aux métropoles. Pour nous motards, ce sont des villes (Vincennes, Charenton-le-Pont, bientôt Paris, rien que pour l’Île-de-France) qui se mettent à nous faire payer le stationnement, alors que nos montures n’occupent guère d’espace. Ou alors, ce sont des radars antibruit inventés spécialement pour nous et qui viennent s’ajouter aux innombrables appareils automatisés, destinés à chasser le moindre petit km/h en trop. Ou, enfin, ce sont certaines de nos routes, si dégradées qu’y rouler devient franchement dangereux.

À la LDC, les témoignages qui remontent jusqu’à nous, alors qu’il ne reste même plus trois semaines avant le premier tour de l’élection, se résument ainsi : à la pompe on nous assomme, sur la route on nous traque et en ville on nous chasse. Pendant ce temps, dans les programmes présidentiels, on nous invisibilise.

Cette absence d’attention, voire ce mépris que nous sommes des millions à ressentir, notre association a donc décidé d’en faire prendre conscience à tous les candidats. Pour cela, nous avons pris la route pour un grand tour de France, partant à la rencontre d’automobilistes et de motards pour qui l’usage d’un véhicule, qu’il ait deux ou quatre roues, demeure vital. Actifs ou retraités, urbains ou ruraux, ces femmes et ces hommes constituent un panel que nous avons voulu le plus représentatif possible des diversités de situations et d’impératifs liées à la mobilité. Inutile de préciser que nos grands témoins se sont lâchés, s’adressant en toute franchise aux candidats : leurs galères et leurs frustrations du quotidien, on ne pourra plus dire que Macron, Pécresse, Zemmour, Hidalgo et compagnie n’en ont pas conscience.

Reprenons ici certains propos exprimés tout particulièrement par les motards de notre panel. Fabien, avec sa BMW S 1000 XR, décrit ainsi avec colère l’état des routes de son département, la Moselle, qu’il juge lamentable. Au point de l’obliger parfois « à rouler sur la voie de gauche » tellement celle de droite est impraticable et dangereuse. Hervé, dans l’Ain, regrette pour sa part amèrement qu’avec la multiplication des radars et l’apparition des voitures-radar privatisées, il soit devenu impossible de rouler sereinement au guidon de sa BMW 1200 GS ou de sa Royal Enfield. Emmanuel, ancien motard, voudrait que les politiques de sécurité routière favorisent la tolérance entre tous les usagers, et limitent le trop répressif, estimant que celles qui sont actuellement menées sont surtout là « pour faire de l’argent ». Thibaut, quadragénaire parisien, considère enfin sa BMW 1200 RT comme un instrument de plaisir et de liberté, dont il ne peut pas se passer, malgré les infernales conditions de circulation de la capitale.

Qu’ils soient motards et/ou automobilistes, nos témoins ont aussi, voire surtout, beaucoup d’idées pour améliorer la vie des conducteurs : meilleure formation des jeunes, renforcement de la présence des forces de l'ordre au bord des routes, contrôles plus fréquents de l'alcool ou des stupéfiants plutôt que de nouveaux types de radars automatiques, moratoire pour la mise en place des Zones à faibles émissions, afin que personne ne soit exclu de la transition écologique…

S’agaçant face à un monde politique qu’ils jugent beaucoup trop déconnecté de la vraie vie, les conducteurs qui nous ont répondu se révèlent finalement bien plus constructifs que la caricature qui nous est trop souvent servie : les motards et automobilistes français ne sont pas tous des fous de vitesse. Ce qu’ils veulent, c’est être de véritables acteurs de l’amélioration de la sécurité routière.

Enrichissant les positionnements de notre association de ces témoignages si réalistes, nous avons rédigé un manifeste de 78 pages, consultable sur notre site. Lequel contient les comptes-rendus de nos entretiens, ainsi que le programme présidentiel des conducteurs que nous sommes actuellement en train de soumettre aux candidats, résumé en dix propositions-clés. Certains nous ont d’ores et déjà reçus (PCF, LREM, Reconquête, Debout la France), d’autres ont répondu à nos questions lors d’une journée d’échanges avec la filière automobile (Parti socialiste, Les Républicains…). L’idée, avant tout, est de montrer à ces nombreux prétendants à la fonction suprême que nous sommes 48 millions de titulaires du permis de conduire dans notre pays. Exactement le même nombre que de détenteurs d’une carte d’électeur. Je dis ça, je dis rien.