Circulation interfile pour les deux-roues : l’expérimentation reprend

Après le tollé suscité par l’annonce du renoncement à la circulation interfile pour les deux-roues en janvier 2021, la Sécurité routière fait volte-face et décide de reconduire l’expérimentation à partir de juin 2021. Une bonne nouvelle dont la Ligue de Défense des Conducteurs ne peut que se féliciter.

À l’annonce de la volonté de l’État de mettre fin à la circulation interfile pour les deux-roues motorisés, fin janvier 2021, de nombreuses associations d’usagers – y compris bien sûr la Ligue de Défense des Conducteurs, qui a aussitôt plaidé en faveur de cette pratique de bon sens – sont montées au créneau pour convaincre nos gouvernants de changer d’avis. Les motards, et notamment la Fédération française des motards en colère, se sont ainsi largement mobilisés, via des rassemblements massifs et des manifestations. Face à leur pression, la Sécurité routière a finalement décidé de reconduire l’expérimentation, qui redémarrera en juin 2021.

Des premiers résultats à prendre avec des pincettes

Pendant longtemps, cette pratique (dont nous vous rappelons les principes en détail ci-dessous) a été strictement interdite, car non mentionnée dans le Code de la route. Pour autant, elle faisait l’objet d’une forme de tolérance. C’est pourquoi une première expérimentation a été menée sur une période de cinq ans, se déroulant dans onze départements : Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Seine-et-Marne, Yvelines, Essonne, Val-d’Oise, Rhône, Gironde et Bouches-du-Rhône. Ces zones ont été sélectionnées car, aux heures de pointe, les embouteillages sont particulièrement conséquents. Une situation propice à la circulation interfile… L’observation de l’accidentologie au terme de ces cinq ans devait logiquement aboutir, à notre sens, à la légalisation définitive de cette pratique qui fluidifie le trafic et encourage automobilistes et motards à un partage intelligent de la chaussée.

Sauf qu’aux yeux de la Sécurité routière et du ministère de l’Intérieur, les résultats de ces premiers tests se sont avérés « décevants », car révélateurs d’une augmentation de l’accidentalité des deux-roues de « 12 % sur les routes où l’expérimentation de la circulation en interfile a eu lieu. » Plus précisément, le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) a recensé « 1 650 accidents légers, 161 accidents graves et 16 accidents mortels ». Les facteurs d’accidents retenus sont les suivants : une vitesse inadéquate pour les motards, qui s’accompagnerait d’un changement de file inattendu et/ou le manque de respect des règles du code de la route par les conducteurs. Le problème, c’est que ces données enregistrées prennent en compte les deux-roues et trois-roues motorisés ayant pratiqué la conduite en interfile... mais pas seulement. En effet, elles incluent aussi la remontée en interfile. La distinction des deux pratiques est pourtant fondamentale.

La première est en effet encadrée et légalisée par un décret, mais pas la seconde, qui consiste à remonter les files quelle que soit la situation (même s’il n’y a pas d’embouteillage ni de ralentissement), en dépassant par la gauche ou la droite, et en ne respectant pas toujours les limitations de vitesse préconisées. La « remontée interfile » est donc une pratique beaucoup plus à risque que la « circulation interfile ».

Cette subtilité explique pourquoi l’interprétation des autorités diffère de celles de nos associations. La Fédération française des motards en colère (FFMC) considère ainsi que cette première expérimentation a « porté ses fruits ». Malgré l’accidentalité en hausse, le comportement des usagers, qu’ils circulent sur deux ou quatre roues, se sont en effet bien adaptés à la circulation interfile au fil des années. Un point positif que la Sécurité routière n’a pas jugé pertinent de relever… Pourtant, le Cerema rapporte que plus de 80 % des deux-roues respectent les règles de positionnement sur la file la plus à gauche, ou encore que 40 % ne dépassent pas la limite autorisée des 50 km/h (contre 23 % en 2015).

Ces arguments ont-ils pesé plus lourd dans le revirement de la Sécurité routière, ou les manifestations de motards ont-ils porté leurs fruits, elles aussi ? Toujours est-il que l’étude de cette pratique reprendra donc finalement en juin prochain. A priori, pour une durée de trois ans avec un an supplémentaire renouvelable, précise Moto Mag. Surtout, avec quelques ajustements.

Deuxième round pour l’expérimentation

Ces ajustements, même s’ils ne seront pas applicables avant la reprise officielle de l’expérimentation, ont d’ores et déjà été dévoilés par la Sécurité routière :

  • Pose de panneaux lorsque la conduite en interfile est autorisée. La Sécurité routière a constaté un manque de signalisation, et nous encourageons cette initiative.
  • « Intensifier la communication et la formation pour mieux faire connaître ces nouvelles règles», en particulier dans les auto et moto-écoles, ou encore pendant les stages de conduite.
  • Élargir l’expérimentation à tout le territoire. Comme le mentionne la FFMC, cela « permettrait des relais efficaces dans la formation et la communication sur le sujet». Le gouvernement a écouté cette préconisation et procède par étapes : pour le moment, seule la Haute-Garonne rejoint officiellement les autres départements précédemment concernés. D’autres suivront.

Dans son communiqué de presse suivant la décision de la Sécurité routière d’organiser cette seconde expérimentation, la Fédération française des motards en colère ne cache pas sa satisfaction. L’objectif, à terme, est de bien sûr valider la circulation interfile et l’intégrer au Code de la route. À la Ligue de Défense des Conducteurs, nous nous réjouissons également de ce rebondissement inattendu et nous en profitons pour rappeler l’Article 2 de notre « Charte du conducteur responsable » : « Je ne suis pas seul sur la route. Je garde mes distances et vérifie très régulièrement dans mes rétroviseurs que je ne gêne personne ; je me décale largement pour laisser passer ou doubler les deux-roues. »

 

Comment fonctionne la circulation interfile ?

Le décret n° 2015-1750 du 23 décembre 2015 encadre cette pratique pour limiter sa dangerosité. Les véhicules concernés sont les deux-roues et trois-roues motorisés. Attention, les tricycles à voie très large, les side-cars et les quads n’ont pas l’autorisation de circuler en interfile.

Où pouvons-nous conduire en interfile ?

  • Sur les autoroutes et routes avec au moins deux fois deux voies, séparées par un terre-plein central, dont la vitesse limite autorisée est située entre 70 km/h et 130 km/h ;
  • En cas de trois voies de circulation, les conducteurs des deux-roues doivent obligatoirement rouler entre les deux voies les plus à gauche de la chaussée.

Attention : en ville et sur les routes non séparées d’un terre-plein central, la conduite en interfile reste prohibée.

Quand pouvons-nous circuler en interfile ?

  • Lorsque la circulation est suffisamment dense, se traduisant par des files incessantes de voitures sur toutes les voies ;
  • L’espace entre les voitures doit être suffisant pour qu’un deux-roues puisse passer et n’ait pas à forcer le passage.

Attention : en cas de travaux ou voie couverte de neige ou de verglas, il est strictement interdit de rouler en interfile.

Quelles sont les règles de circulation en interfile ?

L’article 2 du décret n° 2015-1750 du 23 décembre 2015 précise les règles suivantes :

« I. - La circulation interfile se caractérise par une circulation entre les files de véhicules situées sur les deux voies, ayant le même sens de circulation, les plus à gauche d'une chaussée. Elle est possible sur les autoroutes et les routes à deux chaussées séparées par un terre-plein central et dotées d'au moins deux voies chacune, où la vitesse maximale autorisée est supérieure ou égale à 70 km/h, lorsqu'en raison de sa densité, la circulation s'y est établie en files ininterrompues sur toutes les voies autres que celles réservées, le cas échéant, à la circulation de certaines catégories particulières de véhicules ou d'usagers.

II. - La circulation interfile est autorisée à tout conducteur dont le véhicule est d'une largeur d'un mètre maximum et relève de la catégorie L3e ou L5e.


III. - La circulation interfile s'effectue dans le respect des conditions suivantes :

1° L'espacement latéral entre les véhicules circulant dans les deux voies les plus à gauche d'une chaussée est suffisant ;
2° Aucune des voies de circulation sur la chaussée n'est en travaux ou couverte de neige ou de verglas sur tout ou partie de sa surface ;
3° Avant de circuler en interfile, le conducteur avertit de son intention les autres usagers ;

4° La vitesse des véhicules en interfile est limitée à 50 km/h ;

5° Il est interdit à un véhicule en interfile de dépasser un autre véhicule en interfile ;

6° Le conducteur en interfile doit reprendre sa place dans le courant normal de la circulation, après avoir averti de son intention les autres usagers, lorsque les véhicules, sur au moins une des deux files, circulent à une vitesse supérieure à la sienne. »

La Sécurité routière rappelle quelques recommandations et bonnes pratiques pour les motards…

  • Il faut respecter les distances de sécurité avec le motard juste devant soi ;
  • Avant de s’engager dans l’interfile, vérifier qu’aucun autre motard n’arrive à sa hauteur ;
  • Si la voie est libre, actionner le clignotant pour indiquer aux autres le changement de file ;
  • Un petit remerciement envers les autres conducteurs est très toujours apprécié.

… et les automobilistes n’échappent pas à quelques rappels de bon sens

  • Laisser l’espace nécessaire afin de faciliter le passage des conducteurs des deux-roues ;
  • Avant tout changement de voie, penser à contrôler les rétroviseur et angles morts ;
  • Eviter les manœuvres brusques qui risqueraient de surprendre les deux-roues motorisés ;
  • Actionner les clignotants pour indiquer aux autres usagers les changements de file.

 

Ce que vous risquez :

  • Excès de vitesse (plus de 50 km/h) : de 135 euros d'amende forfaitaire à 1 500 euros + retrait de 1 à 6 points selon l'excès de vitesse
  • Vitesse excessive compte tenu des circonstances : 135 euros d'amende forfaitaire 
  • Non respect des distances de sécurité : 150 euros d'amende forfaitaire + retrait de 3 points
  • Changement de voie sans avoir averti les autres usagers : 35 euros d'amende forfaitaire + retrait de 3 points
  • Dépassement par la droite : 135 euros d'amende forfaitaire + retrait de 3 points
  • Circuler en utilisant d'autres feux que ceux de croisement : 35 euros d'amende forfaitaire