Comment le Conseil national de la sécurité routière entend saboter l’assouplissement du 80 km/h

Après Edouard Philippe et les députés de la majorité, les monolithiques experts du Conseil national de la sécurité routière (CNSR) semblent faire tout leur possible pour mettre des bâtons dans les roues des Présidents de Conseils départementaux. Les conditions du CNSR pour relever à 90 km/h la vitesse des départementales sont dissuasives. La Ligue de Défense des Conducteurs dénonce tous ces obstacles !

Après 12 mois de routes à 80 km/h, les parlementaires ont enfin décidé d’ouvrir la porte à l’assouplissement de la mesure imposée aux Français par le Premier ministre de façon unilatérale.

Ce sont les sénateurs qui ont initié le processus lors de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), en votant un amendement qui proposait que la vitesse maximale autorisée puisse être relevée sur les routes départementales (à l’initiative des présidents de Conseils départementaux) comme sur les routes nationales (sur décision des Préfets).

 

À peine proposé, le retour au 90 km/h se heurte déjà à la majorité présidentielle

Mais le 18 juin 2019, lors du vote en première lecture de la LOM, les députés de la majorité présidentielle ont débuté le simulacre de l’assouplissement du 80 km/h en faisant adopter un amendement qui ne permettrait qu’aux routes départementales de retrouver une limite de vitesse de 90 km/h1. Parallèlement, l’application stricte du 80 km/h, sans aménagement possible, serait maintenue sur les routes nationales, alors même que ces routes sont plus larges, mieux aménagés et donc d'autant plus propices à une circulation plus rapide.

 

Le CNSR complique encore la tâche des Présidents de département

Malgré la volonté des sénateurs de relever la vitesse à 90 km/h sur les nationales et les départementales, les députés LREM ont donc choisi d’exclure les nationales du processus, et maintenant c’est au tour du Conseil national de la sécurité routière (CNSR) de restreindre les perspectives qui semblaient rester ouvertes pour les routes départementales. En effet, le CNSR semble tout faire pour mettre des bâtons dans les roues des Présidents de Conseils départementaux (habilités à relever la vitesse à 90 km/h sur les départementales) en imaginant des conditions plus irréalistes et contraignantes les unes que les autres pour éviter le retour de la limitation de vitesse à 90 km/h sur les routes départementales2. À noter que c’était déjà le comité des experts du CNSR qui avait proposé un abaissement de la vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire en 2013. Cette fois, il tente de nouveau de faire obstacle au 90 km/h à travers une série de « recommandations » dont voici quelques échantillons :

  1. Pour que la vitesse puisse être relevée à 90 km/h, les tronçons proposés devront avoir une longueur de plus de 10 km, sans intersection, sans arrêts de transport en commun ou traversée de hameaux et sans circulation d'engins agricoles, ce qui est relativement compliqué comme le dénonce Jean-François Raynal, vice-président des Yvelines en charge des mobilités : « Ce sera très compliqué car des portions de routes de 10 km sans tourne-à-gauche, sans croisement, il y en a peu… »3.
  1. Installer des séparateurs centraux sur toutes les routes dont la vitesse serait relevée à 90 km/h : difficilement réalisable sur des milliers de kilomètres de route ! Sinon, il est proposé d’interdire les dépassements par un double marquage horizontal continu avec alerte sonore… Encore une fois, la contrainte est énorme ! Et la justification du CNSR est tout aussi aberrante : « La présence d’une séparation supprime la tentation d’une manœuvre risquée dans le respect ou non des vitesses limites ». Donc selon les experts, le simple fait de réaliser un dépassement, même sans danger et en respectant la vitesse règlementaire, est considéré comme accidentogène, alors même que le code de la route l’autorise : hallucinant !
  1. Aménager des « zones de récupération » de 2 mètres de large ainsi que des « zones de sécurité » de 4 mètres de large le long des tronçons relevés à 90 km/h et surtout y ajouter des dispositifs d’alerte sonore pour endiguer les sorties de routes. Encore une fois, ces aménagements seraient difficilement envisageables sur des milliers de kilomètres de routes !
  1. Ajouter à ces 6 mètres de zones de récupération et de sécurité, des « bandes multifonctionnelles de 1,50-2 mètres de large, et séparées de la chaussée par un terre-plein… Imaginez ce type d’aménagement sur des milliers de kilomètres : c’est tout simplement impossible !
  1. Mettre en œuvre « un système de contrôle automatisé », donc encore multiplier le nombre de radars sur les routes !

 

Au préalable, les Présidents de Conseils départementaux devraient réaliser un état des lieux des enjeux d’accidentalité du réseau concerné sur la dernière période de 5 ans, au regard de la mortalité routière, des accidents graves ou encore des usages (vitesses pratiquées, trafic). Des mesures de trafic et de vitesse des conducteurs devraient être réalisées. Si la vitesse en dessous de laquelle circulent 85 % des véhicules est supérieure à 90 km/h (80 km/h pour les poids lourds), le retour au 90 km/h ne pourra pas être effectué.

Ensuite, un audit de sécurité devrait être conduit pour s’assurer que l’infrastructure et ses usages ne présentent pas d’éléments susceptibles d’augmenter la survenue d’accidents graves.

En prenant connaissance de toutes les recommandations du CNSR, on croirait que la limitation de la vitesse à 90 km/h sur les routes départementales n’a jamais existé et qu’elle va faire exploser la mortalité routière, alors qu’aux dernières nouvelles, le 80 km/h n’améliore pas la sécurité sur les routes

Donc, d’après les experts du CNSR, pour repasser des départementales à 90 km/h, il faut faire des aménagements dignes des autoroutes : 7 mètres de voies à double sens, auxquels on ajoute un séparateur central, 2 mètres de « zone de récupération », 4 mètres de « zone de sécurité » puis un terre-plein et enfin 2 mètres de « bande multifonctionnelle ». Ce qui pourrait se matérialiser par le schéma ci-dessous :

Amnagement route 80 kmh(BM = bande multifonctionnelle / TP = terre-plein / ZR = zone de récupération / TPC = terre-plein central)

 

Ainsi, toutes les recommandations du CNSR semblent faites pour dissuader les Présidents de Conseils départementaux de relever la vitesse des départementales à 90 km/h comme le confirme le Président du Conseil départemental des Yvelines, Pierre Bédier :

« Le gouvernement fait mine d'accorder la liberté de choix aux départements, en réalité, il les en prive en multipliant les contraintes. Il y a tromperie. »3

Donc, d’un côté, le Gouvernement fait semblant de lâcher du lest en autorisant un retour du 90 km/h seulement sur les départementales et sous conditions et d'un autre côté, via le CNSR, il se débrouille pour dissuader  les Présidents de Conseils départementaux de repasser à 90 km/h en allongeant la liste des conditions jusqu’à rendre ces contraintes quasiment irréalisables et donc dissuasives…

 

Le 80 km/h restera la règle… Un obstacle de plus !

En plus de cet encadrement strict du rétablissement du 90 km/h, la question de la signalisation se pose : le retour au 90 km/h étant dérogatoire (le 80 km/h resterait la règle dans le code de la route, celle qui s'applique par défaut), il faudrait installer des panneaux de signalisation à chaque sortie d’agglomération et à chaque intersection. Imaginez le nombre gigantesque de panneaux nécessaires pour rétablir le 90 km/h sur les routes départementales dans ces conditions ! Donc le prix de l’abaissement de la vitesse à 80 km/h aura été faramineux ! Cela  constitue donc un obstacle de plus dressé par la majorité pour dissuader les élus d’un retour des routes à 90 km/h : ça commence à faire beaucoup !

Une autre question risque de se poser : que se passera t-il quand la même route changera de département ? Un changement brutal de limitation de vitesse alors que l’infrastructure routière restera la même ? Le gouvernement imposera t-il par décret la conservation de la limitation de vitesse la plus faible ?

 

En conclusion, si on suit la réflexion du Comité des experts du CNSR, pour relever la vitesse des routes départementales bidirectionnelles sans séparateur central, il faut transformer ces routes en autoroutes !

On en oublierait presque que toutes ces routes, avant le 80 km/h et sans davantage d’aménagement, ont déjà supporté une vitesse de 90 km/h…

Néanmoins, la Ligue de Défense des Conducteurs continue d’essayer d’inverser la tendance en cherchant à faire du 90 km/h la règle et du 80 km/h l’exception ! Pour cela, l’association a contacté directement l’ensemble des départements concernés et leur a fourni un argumentaire défendant le retour du 90 km/h sur les routes de France.

La Ligue de Défense des Conducteurs poursuit en parallèle son combat pour exiger un vrai retrait du 80 km/h, sans compromission : comme déjà plus 133 000 personnes, signez et partagez notre pétition "Pour un vrai retrait du 80 km/h" : https://mobilisezvous.liguedesconducteurs.org/pour-un-vrai-retrait-du-80-kmh/ !

 

1 Article 15 bis B du Projet de loi d’orientation des mobilités, modifié par l’Assemblée nationale en première lecture, 18 juin 2019.

2 Dérogation à la vitesse maximale autorisée de 80 km/h sur route bidirectionnelle sans séparateur central : éléments d’aide à la décision, Comité des experts, Conseil National de la Sécurité Routière, 9 juillet 2019.

3 Retour du 90 km/h : des élus locaux dénoncent «l’hypocrisie» du gouvernement, Le Parisien, 21 juillet 2019.